Wattys 2040

Et les fans te trompent - 3

- Ok !... Folks... I have to apologize...

Édouard tapota deux fois ses lèvres.

-... Il y a... Édouard Miron a réalisé la meilleure progression d'abonnés sur un an. Le vainqueur de la catégorie Meilleure histoire de l'année est Damien Erien, de Chine !

Des cris retentirent dans le public. Des visages se déformèrent d'incompréhension, en mode Le Cri de Munch, des femmes déchirèrent leur chemisiers de douleur, à moins qu'Edouard ne rêvait tout ça. Il n'arrivait plus à afficher autre chose qu'un sourire béat sur son visage.

- C'est exactement ce qu'il y a sur la carte, persista l'animateur en brandissant l'enveloppe décachetée. Je prends l'entière responsabilité de ce qui vient de se passer. C'était mon erreur, c'était sur la carte. Une erreur horrible, mais le truc exact... je peux vous le montrer juste ici : le gagnant est Damien. Ça reste une soirée fantastique. S'il vous plaît, n'en tenez pas rigueur aux auteurs. Nous nous sentons si mal mais ça reste une soirée fantastique. Merci à tous.

Puis, livide, il quitta la scène des Wattys sans un regard aux candidats.

Édouard se réveilla en sursaut. L'écran devant lui s'alluma. Le curseur clignotant l'invitait à répondre à son interlocutrice. La vielle horloge de son appartement indiquait 02:53. Ce même putain de mauvais rêve.

Fallait-il qu'il soit névrosé comme un régiment de connasses (ce sont ses mots) pour s'infliger en boucle cette saloperie de scène. Merde, voilà qu'il devenait vulgaire jusque dans ses pensées. Il se leva, commanda un whisky, puis hésita un instant.

-Annule, ordonna-t-il à son frigo.

Au bruit que fit alors ce dernier, on devinait que la commande était peu commune.

-Mets-moi plutôt un verre de lait...

Il s'avança, satisfait, puis :

-Avec une lichette de Ricard.

Il saisit le verre qu'il remua légèrement d'un geste connaisseur en retournant à son personal computer.

Cela faisait deux semaines que la soirée cauchemardesque avait eu lieu. Quatorze jours qu'il ressassait une honte que tout sage nostalgique aurait tenté de lui faire refouler. Le comité s'était excusé. Et il avait tout de même reçu le médaillon de la meilleure progression d'abonnés. Mais c'était le seul point qui ne dépendait pas de lui. Il dicta une réponse à son Toshiba.

-Merci Fleur, virgule, mais c'est justement le problème, point d'exclamation. Je ne mérite même pas ce prix, virgule, je... (L'écran afficha tout seul les points de suspension, marquant le silence.) Je n'ai fait que lire un bouquin qui conseillait des trucs, point. Envoyer !

La réponse s'inscrivit aussitôt sur l'écran :

-D'autres ont dû lire se livre, personne n'a jamè conu une telle progression. Ton istoire est géniale !

-C'est plus compliqué que ça, point. Je n'ai fait que lire un bouquin qui m'a tout révélé, point. Comment puis-je me réjouir d'un fait qui ne dépend pas de moi, point d'interrogation. Que j'ai juste optimisé ou promu, point d'interrogation. La promotion n'est pas un art, points de suspension. Effacer ponctuation ! Point. Envoyer.

Cette fois la réponse tarda un peu plus.

-Tu voi tout en noir. Tu a gagné un pri !

Édouard "cliqua" une dernière fois sur l'application Wattpod. Il regarda pensivement son médaillon puis éteignit son vieux compagnon de circuits imprimés.

Il se rappela le parcours effectué en un an. Ce challenge lancé à lui-même. Les minutes passées à écouter le sage, les stages à l'Ampe, l'émeute, sa rencontre avec la jeune fille de la file d'attente, leur histoire... (Et Fleur93, mais comme il était dans une énumération négative, il omit de manière inconsciente le seul point positif de son histoire !)

Une seule question lui restait sur les bras. La seule vraie question : pourquoi ? Pourquoi avait-il fait tout ça ? Pourquoi se sentait-il moins heureux qu'avant ? Pourquoi n'était-il pas gonflé d'orgueil comme il le méritait.

Il envia presque tous les Jean Sans Poids. Morts pendant leur échec, au moins n'avaient-ils pas vécu avec. Pendant des semaines, il se demanda s'il devait garder une quelconque leçon de cette année qui lui semblait gâchée. Il n'en retint aucune.

Si ce n'est que plus l'attente est forte, plus l'est la déception. Merci Captain Obvious ! Oui, la sagesse avait fait son temps, oui, le pouvoir était illusoire, oui, l'amour ne durait qu'un temps. Et toutes ces désillusions faisaient un peu chier !