Chapitre 19 Passé déterré.

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Simon avait les mains moites. Il ne pouvait pas s'arrêter de jouer avec ses doigts – qu'il avait bloqué entre ses cuisses –, de se les entremêler, de se les tordre, de se planter les ongles dans la peau. La nervosité avait pris contrôle de son corps.

À ce moment-là, assis sur le fauteuil du salon, le latino était comme un chevalier qui s'apprêtait à être chargé par l'ennemi. Le bouclier en place, stable, renforcé. Une protection. Simon voulait se sentir prêt. Mais, même avec son bouclier, il ne le serait jamais. Il ne faut pas oublier que, derrière un bouclier, il y a toujours un homme. Ce n'est qu'une façade.

Avec cette pensée en tête, Simon ne se sentit pas mieux.

Sa mère posa une tasse de thé chaude sur la table, puis alla s'asseoir aux côtés de son père, déjà installé sur le canapé.

  – Bon ... je suppose qu'il faut passer par là, chuchota-t-il.

Sa femme caressa délicatement sa main puis soupira.

  – Il y a 15 ans, nous résidions encore à New York ... c'est une époque que me semble si lointaine aujourd'hui, débuta sa mère. Comme tu l'as signalé, tu étais à la Dalton School et ... l'un de tes camarades de classe était Theo Villeroche.

Ce nom lui donna des frissons. Il n'évoquait plus que des mauvais souvenirs.

  – Tu avais dix ans. Tu étais tout jeune, un être encore fragile et, malgré ta bonne humeur enfantine, tu avais du mal à te faire des amis. Les gens pensaient que tu étais trop ... différent. Et puis, un jour, tu es revenu à la maison en criant que tu avais un ami, un véritable ami, qui t'avait gentiment offert son goûté lorsque d'autres se contentaient d'écraser le tien.

Sa mère avait les larmes aux yeux, comme si elle revivait un moment de joie et de soulagement, le moment où elle sentait qu'elle n'avait plus à être inquiète pour son fils.

Pourtant, un orage guettait.

  – Tu as passé de nombreuses journées chez sa famille, chez Gunter et Cassandre, et également chez Sylvie. Cette vieille dame était la plus généreuse de tous. Elle prenait soin de toi, comme si tu étais un bijou précieux. Et elle prenait soin de moi, en me rassurant sur ton état. Je pensais que tout irait bien. Je pensais ... je pensais que tu connaissais enfin le bonheur d'être entouré d'amis que tu aimes et qui t'aiment. Seulement, je me trompais. J'ai été bien trop naïve, bien trop aveugle ! 

  – Mi cariño ... souffla son mari, comme exaspéré par cet excès de culpabilité.

  – Tu sais que j'ai raison ! Je suis censée être au courant ! J'aurais dû me rendre compte que cet enfant, ce Theo, n'était pas un enfant net. C'était un démon, c'était le mal incarné ... Il avait ce regard démoniaque et ce sourire angélique. Ce qu'il a fait ... Ce qu'il a fait ! 

La quadragénaire se prit la tête entre les mains et sembla retenir des sanglots avec dureté. Son mari lui caressa le dos tendrement et sourit tristement à son fils. Ce dernier était d'ailleurs tellement absorbé par l'émotion qui se dégageait de cette pièce qu'il en pleurait. Sans bruit, sans sangloter, sans même s'en rendre compte, des larmes discrètes coulaient le long de ses pommettes.

La vérité avait toujours un prix, celui de la souffrance. Mais Simon ne voulait pas rester ignorant. 

Sa mère releva la tête et essuya rapidement le coin de ses yeux.

  – Un soir, Sylvie m'a appelé, continua-t-elle. Il n'était pas rare qu'elle me donne des coups de fils, mais cette fois-ci, j'ai senti l'urgence et l'angoisse. Elle m'a dit que Theo t'avait embarqué hors de l'appartement, alors qu'il faisait nuit noire et que vous étiez censé dormir. Elle m'a dit qu'elle avait entendu du bruit, et que les lits étaient vides à son arrivée. Elle paniquait. Je me sentais oppressé par le poids de l'inquiétude. Ton père et moi avons immédiatement contacté la police, puis nous avons rejoins Sylvie. Nous étions tous trois, déboussolés, à la recherche d'une explication. C'est là que Sylvie a commencé à dénigrer Theo, à nous révéler toutes les horreurs qu'il faisait subir aux autres garçons, et surtout à son cousin, Raïken. 

Elle prit son inspiration, comme si elle arrivait au point culminant de son récit. 

  – Tu t'es défendu, Simon. Tu t'es défendu contre cette espèce de bête. Tu l'as poussé parce que tu n'as pas eu le choix. Ils l'ont effacé parce qu'ils en avaient honte. 

  – Comment ça ? demanda automatiquement Simon. 

Le latino se sentait pris à la gorge, incapable de respirer correctement. 

  – Il t'a ... il t'a violé, Simon.

Le temps sembla s'arrêter, comme si le monde ouvrait une nouvelle dimension dans laquelle Simon se noyait. Une dimension obscure, où la terre est cendres et les mers sont sang.

  – On vous a retrouvés, près des rails. Theo était ... un peu partout. Toi, tu étais inconscient, le pantalon baissé et ... tu saignais ... tu saignais, c'était terrible. Une vision que je ne veux plus jamais avoir, plus jamais ressentir, et pourtant elle me hante depuis ... 

Simon n'écoutait plus. Il ne le pouvait plus. Ce n'était plus que des sons indistincts et des personnes en deuil.

Comme pris par une rage soudaine, il se leva et renversa la table. Le grand fracas mit fin à toute forme de langage dans la pièce. La respiration accélérée, le pouls déchaîné, les poings serrés, la peau transpirante, les paupières bloquées, tout son corps paraissait crier de haine et de dégoût. Les pensées en vrac, le surgissement des souvenirs, la connexion de ses neurones, tout son esprit se brisait de peur et de douleur. 

Il se souvenait de tout. Il hurla. Un son déchiré et inhumain.

Il se rappelait s'être éclipsé de la chambre, avoir descendu les escaliers métalliques. Theo le tenait pas la main, et lui priait d'avancer plus vite. Son visage était radieux de cruauté. À ce moment-là, Simon avait commencé à être effrayé. Il voulait rentrer. Pourquoi sortaient-ils si tard dans la nuit ? Sa mère allait le disputer. Ils ne devraient pas aller dehors. Qui étaient ces gens qui les regardaient passés ? Pourquoi ne l'aidait-il pas à rentrer chez lui ? Pourquoi Theo paraissait-il si sûr de lui ? 

Les rails étaient juste devant lui, et pourtant il ne les voyait plus. Il n'y avait même pas une étoile dans le ciel pour le rassurer et lui dire que la douleur allait probablement passer. Il avait crié, mordu, frappé, pleuré, hurlé. Il s'était crispé, recroquevillé. Qu'est-ce que Theo lui faisait ? Il se sentait si mal, si honteux, si impuissant. Que se passait-il ? N'était-il pas son ami ? Pourquoi le faisait-il souffrir ? 

Le train approchait. Deux phares éclairaient le chemin, et illuminait la monstruosité au-dessus de lui. Ce n'était pas un enfant, c'était une créature des ténèbres. « Ce n'est qu'un jeu » lui avait-il dit. 

Mais Simon ne voulait pas jouer. 

Le coup était parti. Le garçon avait regroupé ses forces et, avec toute la colère qu'il avait, il poussa son ami le plus loin possible de lui. Tout ce qu'il entendit fût le bruit d'un choc, comme s'il avait écrasé une araignée avec son pied. 

D'un seul coup, Simon fût de nouveau un enfant. De retour au pays des enfers, les jambes flageolantes, il s'effondra. Sa vision se fragmenta, sa respiration s'accéléra jusqu'à provoquer une peine atroce dans ses poumons. 

  – Appelle-le ! se mit à hurler sa mère, en se précipitant sur son fils. Appelle Light, ¡deprisa!

Son mari se rua sur le téléphone, tandis qu'elle tentait de calmer son fils. 

Cependant, ni les caresses, ni les douces paroles, ni les berceuses rassurantes ne semblaient l'apaiser. Simon s'était emprisonné dans un espace d'où il ne sortirait pas indemne. Il s'était emprisonné dans le souvenir.

Light [MxM] T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant