Chapitre 23 : Pris au piège

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Naos 

Assis sur un tronc d'arbre mort, je fermai un instant les yeux. Le soleil caressait doucement ma peau. Je n'aimais pas le soleil ni la lumière, je préférais le secret de la nuit. Je ne me sentais jamais vraiment à l'aise en plein jour ; je fuyais la lumière pour me réfugier sous l'ombre des arbres ou dans l'obscurité bienveillante d'une pièce aux rideaux tirés.

Or ici, je n'avais nulle part où me réfugier. Tout ici n'était que chaleur étouffante et lumière agressive. Elle savait que l'ombre était mon refuge, alors elle me pourchassait jusque dans les coins les plus ensoleillés, où la clarté m'affaiblissait chaque jour davantage.

Je me recroquevillai pour offrir le moins de prise possible à la chaleur, pourtant je sentais tout mon corps me brûler. J'étais à bout de forces. Cela faisait des jours que je n'avais pas mangé à ma faim. Je ne me sentais même pas le courage de bouger. Tout ce que je pouvais faire, c'était rester là, à attendre que le soleil me tue.

J'entrouvris un instant les paupières pour guetter l'horizon. C'était devenu un réflexe chez moi, je le faisais presque sans y penser. Mon instinct de survie reprenait le dessus. Elle pouvait apparaître n'importe quand. Mes nerfs étaient à vif en permanence. C'était épuisant.

Mon regard fouilla la forêt de troncs brûlés, plus par habitude que par réelle peur. Mais lorsqu'il effleura une silhouette avançant vers moi à une vitesse inhumaine, mon cœur eut un sursaut douloureux. Ce monde était un gigantesque désert, seules deux personnes y vivaient : Opale et moi.

Opale ! Cette pensée me tira de ma torpeur. La peur m'envahit. Je sautai sur mes pieds. Opale, Opale, Opale, Opale. Elle était là pour me tuer. J'étais trop faible pour fuir, je n'avais qu'une seule solution : me cacher.

Saisi de panique, je me mis à courir. Mes jambes étaient lourdes, mon souffle se faisait court mais la peur me poussait vers l'avant, recherchant désespérément un peu d'ombre où me fondre.

Au bout de quelques minutes de course effrénée, je trouvai enfin ce que je cherchais. Un tronc un peu plus large que les autres, dont l'ombre était assez grande pour me dissimuler. J'avançai prudemment la main, comme pour tâter l'obscurité. La brûlure sur ma peau s'apaisa lorsque je me fondis en elle. Vu la taille de l'ombre et mon état d'épuisement, je me doutais qu'Opale me trouverait, mais je devais tenter le tout pour le tout.

Les battements de mon cœur s'espacèrent tandis que je reprenais mon souffle. Un instant, ma douleur s'estompa. Je me sentis presque apaisé. Une fraîcheur bienfaisante s'était insinuée en moi, calmant la brûlure.

Mais, lorsque des pas retentirent, la peur revint. Opale. Elle arrivait. Je me fis le plus petit possible, me recroquevillant sur moi-même. Je fermai les yeux. Pitié, faites que je devienne invisible, priai-je en silence. Faites-moi disparaître. Faites qu'elle ne me trouve pas. Pitié.

Je sentis sa présence se rapprocher. Les battements de mon cœur s'accélérèrent, résonnant douloureusement dans mes doigts crispés. Terrifié, je ne bougeai plus. Aussi immobile que la pierre.

Les pas s'arrêtèrent. Je sentis un souffle glacé, juste devant moi. Terrorisé, je ne pus m'empêcher d'ouvrir les yeux.

Elle était là, fixant l'obscurité comme pour m'y trouver. Ses yeux d'un bleu glacé ne montraient aucune émotion, excepté le petit sourire cruel qui ne la quittait jamais. Ses cheveux couleur de neige scintillaient en rivière gelée dévalant son dos. J'eus l'impression que l'air se rafraîchissait à son contact, mais pour une fois cette sensation ne m'était pas agréable. Je frissonnai.

Opale eut un sourire. Elle savait que j'étais là. L'enchanteresse avança la main à travers l'obscurité. Ses doigts brillèrent d'un éclat froid, dissipant peu à peu l'ombre.

J'eus un sursaut avant de me relever précipitamment. Si elle dissipait l'obscurité, je serais visible. Et à sa merci. Mais je ne pouvais rien faire. Un horrible sentiment d'impuissance me tordit le ventre tandis que je la regardai inéluctablement avancer la main vers moi.

La peur fit flancher mes genoux lorsque ses doigts s'approchèrent de mon torse. Je cessai de respirer. Non, non, non, non, non, non, non ! suppliai-je en silence sans savoir vraiment à qui je m'adressais.

Nos peaux entrèrent en contact. Brutalement, une intense lumière blanche jaillit, m'éblouissant, tandis qu'une douleur horrible me broya la tête. Je me mis à hurler sans pouvoir me retenir. Le monde se mit à tourner autour de moi.

Lorsqu'elle retira enfin sa main, tout s'arrêta. Haletant, je tombai à terre. Toutes mes forces m'avaient quitté. Je repris difficilement mon souffle, agenouillé sur le sol. Tout tanguait. J'avais l'impression d'être ballotté, comme sur un bateau. J'en avais presque la nausée.

Finalement, le monde se stabilisa, redevenant cet affreux désert, qui allait être mon tombeau. Je levai prudemment le regard, encore étourdi par la douleur que je venais de ressentir.

J'étais à présent désespérément visible. Et devant moi, Opale me regardait cruellement.

J'eus un gémissement.

- Tiens donc, te revoilà, petit frère d'Halcyon, fit-elle, narquoise. Tu ne m'as même pas laissée te souhaiter la bienvenue sur Incubus !

Sa voix était glacée comme un vent d'hiver. Trop terrorisé pour parler, je la fixai, les yeux écarquillés. Elle fit un geste pour englober le monde désertique où nous nous trouvions.

- Incubus. Cauchemar. J'adore ce terme, pas toi ?

La tension dans mon corps se relâcha légèrement tandis qu'elle parlait. Pour l'instant, elle ne me faisait rien subir d'horrible. La fatigue me fit fermer les yeux un instant. Grave erreur.


Le coup partit à ce moment-là et m'atteignit à la tempe. Projeté à terre, je serrai les dents tandis que la douleur sourde s'installait progressivement. Un autre coup s'abattit sur mes côtes. Un feu destructeur envahit soudain ma poitrine. Un coup au crâne. Un coup sur le ventre. Un à l'entrejambe. Roulé en boule, j'encaissai, tentant de réprimer les gémissements qui me montaient aux lèvres.

Une chaleur inhabituelle brûlait ma tempe. J'y portais ma main. Elle revint tâchée de rouge. Une goutte de sang roula le long de mon doigt. Presque absent, comme dans un rêve je la vis glisser jusque dans ma paume.

La voix d'Opale me sortit de la torpeur où j'étais plongé.

- Lève-toi.

Lentement, difficilement, je lui obéis. Chaque mouvement était une torture, chacun des mes muscles me lançait, tout mon corps me brûlait.

Et pourtant, je savais que ça ne venait que de commencer.

Le lien du sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant