Chapitre 5

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Or le constat est là : j'ai été sa souffrance. J'ai été la cause de son mal être...
Ses mots me tuent: " tu as juste gâché ma vie, je ne te pardonnerai jamais, jamais tu entends : JAMAIS !!!!!"

Je crois qu'est venue pour la fin du cercle "bien-être"," belle vie", "on est jeunes et amoureux", "nos enfants sont premiers de la classe, tout va bien"...

J'ai toujours dis être prête à affronter les épreuves. Les épreuves de la vie.
J'ai toujours eu conscience que mon bonheur aura une fin. On ne peut quand même pas passer sa vie dans la joie!
Lors de nombreuses médiations je l'imaginais. Le scénario de ma prochaine épreuve. Ma maman m'a souvent conseillée de profiter de mon moment de bonheur plutôt que de ne pas oser en jouir. Ne pas m'habituer pour ne pas être déçue. Alors j'ai appris à jouir du moment présent. Mais sans pour autant faire abstraction du malheur constant qui m'entoure ou qui me guette.
Combien de fois au moment du 20h j'ai laissé jaillir mes sanglots.

Voir des rescapés des attentats raconter ce qu'ils ont vécu ou pleurer leurs proches me brise le cœur.
Voyant cela je m'interdis d'être dans un bonheur absolu. Je jouis, je me réjouis, je ris et souries en abondance, mais je garde des moments pour méditer la chance que j'ai de le faire. En découle souvent une médiation sur la notion du bonheur et du malheur. Du destin. De la vie. Puis les possibilités de mon futur.

Combien de fois ai-je imaginé mon enfant mourir sous mes yeux.

Ou découvrir que mon mari à une deuxième vie, que ma mort sera longue et douloureuse, ou encore que nous aurons un grave accident et je serai la seule survivante....

Je ferme les yeux, je vois le film se dérouler et je pleurs.
Longtemps et silencieusement.

Puis je remerci Dieu de ne pas m'avoir fait vivre cela.
Imaginer et ce genre de chose me permet de rester connectée à la vraie vie. Ne pas m'oublier dans une vie agréable. Ne pas passer ma vie à manger, dormir, rire. Mais être consciente. Avoir de la gratitude. Être reconnaissante.

Je crois que le pire qui puisse m'arriver c'est d'oublier d'être reconnaissante. D'oublier la misère du monde et m'occuper de mes petits bobos.

De me plaindre parce que je n'ai pas assez dormis, ou parce que j'ai passé une mauvaise journée.
Mauvaise journée ? Parce que j'ai été au travail et que tout le monde me coupe dans mon travail pour me poser des questions. Parce que la Wifi a planté plusieurs fois et que .....

Non ce n'est pas possible... Tu as un travail, un PC, des gens qui ne t'ignorent même pas, qui t'admirent même au point de te demander des conseils.... Mais comment avons-nous pu tomber aussi bas? Pourquoi sommes-nous si peu reconnaissants?
Oui, le pire qui puisse m'arriver c'est cela !

Même si je sens aujourd'hui mon petit monde vaciller sous mes pieds je suis certaine que je peux arriver à surmonter cette épreuve. Car Dieu va m'aider.
Si Dieu me pardonne...
Je vais prier et prier pour que Dieu accepte mon repentir.
Mais Lily, comment me faire pardonner ? Il me faut son pardon pour que je puisse retrouver l'apaisement de mon âme.

Je vais lui écrire...
Je n'ai jamais pu me faire pardonner autrement que par lettre.
Même avec Tom, je passe par l'écrit pour lui demander pardon et reconnaître mon erreur. Ou je lui décris mes peines face à son erreur.

Je vais réfléchir cette nuit à ce que j'aimerai dire à Lily.

La journée, mon quotidien est animé par les joies et peines des enfants de l'école. C'est à moi de mettre de côté mes problèmes et régler les tensions, soulager les peines, ou encore donner de l'attention. Ceci en plus de suivre les programmes, être attentive à l'évolution de chacun...

Mon parcours a fait que les soi-disant : " mauvais " de la classe attirent mon attention.

J'ai la volonté intérieure de les aider. Les aider à prendre conscience qu'ils ne sont pas appréciables mais qu'ils sont dignes d'être aimés... Pour moi c'est le point de départ de toute réussite.
Mais je suis aussi attentive aux "bons" élèves. Car je sais que ce n'est pas aussi idyllique que j'ai pu croire enfant. Le bon n'est pas le chouchou de la maîtresse. Au contraire, il est invisible.
Souvent la maîtresse l'ignore puisque elle sait qu'il sait. Pas besoin de s'en préoccuper.

Une fois rentrée à la maison, je me dois d'écouter le flot de paroles de mes enfants. J'écoute attentivement tout en faisant mijoter le plat du soir. Je suis très attentive à leur vie scolaire car je sais combien c'est difficile de créer sa place à l'école.
Alors je pose des questions, je donne des conseils. J'aime beaucoup ce moment de débriefing.
C'est une sorte de passage obligatoire entre le monde de l'école et celui de la maison.

Un pont que l'on doit passer pour ensuite s'abandonner à l'univers familial et ses règles. Car il ne faut pas croire c'est très difficile de changer de milieu. Chaque univers à ses codes.

Puis je m'occuperai de les laver, de les aider à faire leurs devoirs, puis les inciter à jouer ou lire. Mon fils va commencer un plaidoyer pour pourvoir jouer aux jeux vidéo. Je vais être tentée de dire oui pour gagner du temps et jouir du silence mais en général je vais résister et argumenter à mon tour pour lui faire prendre conscience que griller ses neurones n'est pas une bonne chose à faire au beau milieu de la semaine.

Nous mangerons enfin en famille. Un petit moment où nous essayerons de créer des liens.

Étant toute la journée séparés c'est parfois compliqué de se retrouver.

Mais pour que ça se passe bien, j'ai compris qu'il ne faut pas avoir d'idéal.
Encore les films.

Ne pas s'imaginer que vous aurez de nombreuses éloges sur le repas. Ni de remerciements.
Ne pas s'imaginer que vous allez avoir de longues conversations.
Non, ne rien attendre, et se dire que tout ça c'est dans les films.

En réalité, nous sommes tous en train de penser à la journée de demain, de faire la liste de tout ce qui nous reste à faire avant d'aller dormir. Ou encore de répéter une énième fois : « ferme ta bouche quand tu manges! », « Tiens bien le verre! », « Non, tu iras au toilettes après manger, là ce n'est pas le moment... » !

Une fois que tu sais que ça va se passer de cette manière, alors, là, tu passes un bon moment. Tu te dis que c'est ça la vraie vie. Que tu as de la chance d'être là, ce soir en famille.

Au chaud.

Dans une maison.

AnaïsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant