Chapitre 4

72 18 22
                                    

Pourquoi Lily chamboule-t-elle mon équilibre? Je ressens aujourd'hui la même nausée que pendant la distribution des contrôles ...
Je ne peux rien faire d'autres que me passer en boucle ses mots...

Si poignants. 

Malgré les années elle a encore ce pouvoir sur moi. Ce pouvoir de me mettre mal à l'aise . Ce pouvoir de me faire sentir que je ne suis rien.
Toute ma vie j'ai essayé de construire une image favorable de moi-même. J'ai essayé de faire abstraction de cette année-là. L'année où j'ai été quelqu'un d'autre. La seule année où je ne me suis pas sentie inférieure. La seule année que j'ai eu à regretter adulte.

Ce qui a changé cette année-là par rapport à avant, c'est que je ne pleurais plus quand je me sentais agressée. Je ne pleurais plus. Ni en public, ni chez moi, ni en moi.
Ma haine se traduisait uniquement par ma langue. Mais cette alchimie à détruite ma rationalité.
Je ne laissais rien passer. Je commentais tout. Je mentais aussi...
Je me sentais puissante. J'avais le pouvoir de déstabiliser. J'avais le pouvoir de casser son bien-être. 

Elle riait, souriait. Et moi je glissais ma remarque à voix haute et elle plissait les yeux, serrait sa bouche. Au moins elle arrêtait de sourire. Et ça me soulageait.
Je me souviens dire à voix haute :" oh Lily, tu pues aujourd'hui, mais qu'est ce qui se passe tu t'es pas lavée depuis combien de temps ? Un jour: ça passe mais s'il te plaît n'abuse pas! " Ou encore: " Lily, c'est un nom de chien ? Je suis sûre tes parents ils avaient un chien qu'ils aimaient beaucoup. Sûrement il est mort avant ta naissance. Ils ont voulu lui rendre hommage?!!"
Ce genre de phrase était prononcées à chaque occasion. Plusieurs fois par jours. Aujourd'hui je me rends compte combien les mots peuvent faire souffrir. Et je m'en veux tellement d'avoir osé dire ces choses. 

Une fois ma 6 ème terminée. Je suis passée de justesse en 5 ème.
Nous avons déménagé pendant l'été et je suis redevenue vulnérable.
Je ne connaissais pas le nouveau collège. Et quand tu veux te faire de nouveaux amis à tout prix, je crois que sur ton front il y a écrit : "personne faible, n'hésite pas à la traiter comme un chien."
Au moins quand tu es la victime, tu ne regrettes que de ne pas avoir osé te défendre. Or que quand tu agresses, une fois adulte tu souffres du mal que tu as pu faire. Tu as des remords toute ta vie. Jusqu'à ton dernier souffle. Pire: se sera ta dernière pensée...

C'est ainsi que un matin d'hiver j'ai adressé une lettre à Lily. J'ai vu sur Facebook que nous avions une relation en commun. Lily est médecin. Elle vit toujours en Normandie. Elle n'a pas d'enfants apparemment. Tombée par hasard sur sa photo de profil, j'ai eu le besoin de lui écrire.
J'écris souvent des lettres à mes anciens camarades de classe. Je leurs adresse mes excuses ou mes plaintes ainsi ma douleurs passée à l'école ou à la maison. Je leurs raconte ce que je vivais à la maison. Pour qu'ils comprennent et me pardonnent.

Ayant une relation commune avec Lily, j'ai osé lui envoyer. En espérant nouer une amitié avec elle maintenant que j'ai moi aussi réussi ma vie. 

C'est vrai, je prends du plaisir à écrire que je suis devenue professeur des écoles. Que j'apprends à des enfants toutes les règles que je n'ai jamais comprise enfant.
J'ai réussi à me construire. J'ai réussi à me sentir à la hauteur.
Depuis je me lie d'amitié... Plutôt je noue des relations avec des femmes cultivées, diplômées ou encore pieuses. Ces trois catégories de personnes sont pour moi la ligne de conduite à suivre.
Quand on veut sortir du cercle du manque de confiance en soi, on se sent obligé de miser sur tous les domaines.
Alors oui, maintenant que je suis la même maman que celle qu'à pu avoir Lily, j'ose écrire et demander pardon.
Ce n'est pas mon orgueil qui me pousse à le faire. Mais ma piété. À la manière d'une prière je demande pardon.
C'est d'ailleurs la piété qui fait qu'aujourd'hui sa lettre me bouleverse. Je ne supporte plus être la cause d'un mal. La cause d'une souffrance. Et dans mon quotidien je fais tout pour ne pas l'être. Jamais, pour personne...

AnaïsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant