UNDER WATER

3 | Projet d'avenir

UNDER WATER • CHAPITRE TROIS

PDV Sua

Deux semaines. Voilà deux semaines que notre île avait été engloutie.

Par chance, tout le monde avait pu descendre à temps. Même les plus récalcitrants avaient réussi à être évacués par les pompiers.

Avec Jiu, nous avions intégré notre nouveau lycée. Nous avions été mises dans la même classe suite à la lettre que ma mère avait faite au proviseur. Heureusement.

Ces deux premières semaines d'adaptation furent éprouvantes pour nous deux. Dans notre classe, tous les élèves nous appelaient "les réfugiés" et nous prenaient de haut. Impossible pour nous de s'intégrer, nous restions confinées à deux dans le fond de la classe, tête baissée.

La vie sous l'eau ne ressemblait en rien à ce que je m'imaginais jadis. Nous étions enfermés sous une cloche de verre sans aucun moyen de s'échapper. Comme une prison.

J'avais envie de pleurer.

Mais je ne devais pas.

Il fallait que je me montre forte, pour mes amies.

Je me balançai inlassablement de haut en bas sur une balançoire en métal toute neuve, dans un parc près de notre nouvel immeuble.

J'attendais mon amie à la crinière rouge. Elle m'avait donné rendez-vous dans ce parc. Comme d'habitude j'étais à l'heure, comme d'habitude elle était en retard. Il y avait des choses qui ne changeaient pas.

Perdue dans mes pensées, hypnotisée par les cliquetis de la balançoire, j'attendais.

Jiu était la plus affectée de nous toutes, elle m'appelait en pleurs pratiquement tous les soirs. Elle comptait sur moi, il fallait que je trouve les mots pour la réconforter.

C'était dur de lui cacher que moi-même j'allais mal.

« Wow, regardes ça ! »

Je savais que ce n'était pas à moi qu'on parlait, mais instinctivement, je levai les yeux.

Il faisait sombre. C'était comme une éclipse.

J'équarquillai les yeux.

Wow...

Une baleine était en train de passer au dessus de notre ville, offrant une incroyable vue sur son ventre.

J'en restais bouche-bée. Jamais je n'avais eu une telle occasion de voir une baleine de si près. Enfin, j'imaginais que dans quelques temps ceci serait devenu quelque chose de complètement anodin auquel je ne prêterai même plus attention.

La baleine traversa le dessus de la ville, et bientôt le soleil réapparut.

En réfléchissant, le seul avantage de vivre ici c'était d'avoir un aquarium géant à portée de main.

Jiu arriva quelques minutes plus tard, un sourire dit "de présentation" collé au visage. Elle s'installa sur la balançoire voisine, immédiatement son expression faciale changea.

Nous restâmes là quelques minutes, à nous balancer en silence.

« Merci d'être venue. »

Jiu plaqua ses pieds au sol pour arrêter son mouvement balancier.

Je fis de même et acquiesçai en souriant. Ça aussi, c'était un sourire de présentation.

Très vite, mon amie se mit à parler, à extérioriser son mal. Elle s'était encore disputée avec ses parents et son frère.

Moi, j'écoutais simplement. Je m'abstenais de donner mon avis ou de la conseiller, car je savais que ce n'était pas ce qu'elle souhaitait. Je connaissais Jiu depuis le jardin d'enfants: tout ce qu'il lui fallait, c'était une oreille attentive.

Elle délaissa le sujet familial pour passer à autre chose.

« Sua j'en peux plus de vivre ici... »

Moi non plus je n'en pouvais plus. Je voulais juste retourner à mon ancienne vie.

« Hum... Tu sais, quand on y réfléchi c'est pas si mal ici ! On se voile juste la face en ne voulant voir que les mauvais côtés, mais il y a aussi pleins de choses cools dans cette ville. »

Pff, t'es nulle Sua. Ça sonne tellement faux ce que tu viens de dire.

Jiu afficha un petit sourire crispé. J'étais certaine qu'elle avait compris. Compris que je n'étais pas la personne à qui elle pouvait parler de ça.

Elle changea de sujet.

« Et sinon, tu vas continuer la danse toi ? »

La danse. J'en faisais depuis toute petite, et j'adorais ça.

« Non, j'arrête. Et toi ? »

Ça me faisait tellement mal de dire ça. Mais c'était la vérité, après onze ans de danse, j'étais contrainte d'arrêter. Les cours et la danse, c'était deux choses bien à part, et je n'étais plus capable de les gérer en même temps.

« J'arrête aussi. »

J'équarquillai les yeux. Sérieusement ? Jiu arrêtait la danse ?

« Pourquoi ? Tu sais Madame Song va reprendre son job de prof, si c'est ça qui t'inquiétais.

– Oui je sais, mais non ce n'est pas ça.

– Alors, c'est quoi ?

– Mes parents. »

Je n'avais pas besoin d'en demander plus, j'imaginais très bien pourquoi. Les parents de Jiu n'avaient jamais été très compréhensifs avec elle.

« Sua, je sais ce que je veux que tu m'offres comme cadeau pour mes vingt ans.

– Ah ?

– Ouais, je veux que toi et les filles vous m'offriez un bateau ! »

Je me mis à rire à gorge déployée. Pas que ça me paraissait grotesque, mais qu'aurait-elle fait d'un bateau ?

Elle me fusilla du regard et je compris qu'elle ne plaisantait pas.

« Je l'appelerai le "Dreamcatcher", parce-que grâce à lui, nous attraperons notre rêve de pouvoir retourner à la surface. »

Ça se tenait, ça me semblait même être une bonne idée.

« Hum... Si on te l'offre, j'espère qu'on pourra être du voyage ?

– Évidemment, ça serait nul sans vous. »

Jiu avait retrouvé le sourire, alors moi aussi.

06/09/2017 - 873 mots.