C'est juste une statuette

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Tordue. C'est le mot qui me vient à l'esprit à chaque fois que je la regarde. Tordue, biscornue, elle n'a rien de beau ou d'équilibré, cette petite statuette. Et pourtant, je m'obstine à la placer sur mon étagère, au milieu de mes échantillons de roche : intruse, alien, objet non identifié. Verte, rouge, marron, elle n'est pas unie et je n'arrive même pas à définir de couleur globale, ce n'est qu'un entrelacs de tâches difformes. Difforme, voilà aussi un adjectif qui conviendrait parfaitement pour la décrire. Je ne compte même plus le nombre de fois que mes parents ont voulu la jeter et encore moins le nombre de chutes malencontreuses qu'elle a pu subir depuis qu'elle est entrée en ma possession, dix ans plus tôt. C'est un vétéran, en fait, cette statuette. Bien plus que moi. Mes doigts glissent le long des améthystes, décalent quelques quartz, font la poussière au passage et se saisissent de l'objet de ma réflexion. Je souffle sur le crâne de la créature indéterminée, cherche un mouchoir propre et me laisse tomber sur le lit pour entreprendre son nettoyage.

« Tu sais que tu ne vas pas pouvoir l'emmener, n'est-ce pas ? »

Je sursaute. C'est ma grande sœur, bien sûr. Toujours là quand je m'y attends le moins, jamais là lorsque j'ai besoin d'elle. Et systématiquement présente lorsque je ne m'attends pas à avoir besoin d'elle.

« Je sais... pas d'affaires personnelles... mais... »

Elle s'assoit à côté de moi, tend la main pour arrêter mes mouvements circulaires de mes doigts. Je sais que je suis stupide de réagir comme ça mais je ne peux pas m'empêcher d'être nerveux. Devant moi, les piles de vêtements et le sac grand ouvert témoignent de mon inactivité des dernières heures. Mon regard retombe sur ma grande sœur qui a récupéré ma statuette et a désormais un léger sourire aux lèvres. Oui, je sais, pas besoin de préciser qu'elle est immonde, Blandine, mais... toujours ce mais. Et je n'arrive jamais à savoir sur quoi il débouche, ce mais.

« Tu sais, moi aussi j'avais un peu la trouille lorsque j'ai dû y aller. Et Bastien aussi avait la trouille. Tu n'as pas à t'en faire, ça va bien se passer. Et c'est là que j'ai rencontré ma meilleure amie ! Finalement, ce n'était pas si terrible... »

Elle aura beau faire, beau dire, j'ai déjà entendu tous leurs arguments et rien ne parvient à dénouer cette boule au creux de mon estomac. Surtout pas la mention de Bastien, celui-là même qui me l'a donnée, cette statuette de pierre. Je regarde Blandine se lever pour aller reposer mon truc et j'en profite pour remarquer une nouvelle fois à quel point elle et moi, on ne se ressemble pas. Là où ses cheveux bruns tombent en cascade dans son dos, les miens sont d'un blond si franc qu'on les croit dorés lorsque le soleil n'en fait qu'à sa tête. Ce qui arrive souvent de part chez nous. Là où elle est d'une grande taille, accentuée par son assurance, adoucie par sa délicatesse, je suis trapu, nerveux, aux réactions aussi imprévisibles que mon caractère. Un soupir, voilà que je m'allonge sur mon lit et croise les mains dans ma nuque pour mieux regarder le plafond. Il faudrait que je termine mon sac, que je range ma chambre, que je prépare mes affaires. Dans l'idéal, il faudrait aussi que je mette à jour mon carnet d'ascendance génétique, que je prépare mon petit résumé sur ma famille, que je révise mon discours de présentation et plus encore tout ce que je vais pouvoir dire aux Surveillants lorsqu'ils vont s'apercevoir que mon frère a échoué un an avant moi. Mais... je suis terrifié et incapable de m'activer, je suis angoissé et incapable de me dire que demain, quoique je fasse, quoique je dise, je pars de la maison.

« Nolan, vraiment, il faut que tu te bouges. Si les parents voient ta chambre comme ça, tu es bon pour passer la nuit à la Centrale... tu sais qu'ils ne veulent pas d'ennuis avec la Régie. »

Comme un peu trop souvent, Blandine fait écho à mes pensées. C'est normal, c'est une psychologiste, et comme tous ceux de sa catégorie, elle a un instinct bien trop développé pour son propre bien. Instinct, intelligence, anticipation... tant de petits éléments rassemblés et résumés par ce tatouage dans sa nuque qui résume sa vie depuis trois ans maintenant. Depuis qu'elle a passé le test. Ce qui me ramène à Bastien, ce qui me ramène à demain, ce qui me ramène à moi. Je l'entends s'activer sur mon bureau, certainement en train de ranger à ma place les feuilles et stylos qui y traînent. Elle n'a pas tort, il faut vraiment que je m'active si je ne veux pas dormir à la dure, gardé par les policiers, devant le train qui m'emmènera quoique je fasse vers le Centre du canton. Je me redresse, bute sans le vouloir sur une pile bancale de tee-shirts.

Tu auras 24h - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant