Il suffit juste de suivre les règles

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« Vous vouliez me voir Madame ? »

Elle fixe ses yeux clairs sur moi, je ne peux m'empêcher pour ma part d'observer son tatouage. Un psi finement dessiné dans des pleins et des déliés presque hypnotisant. En couleur, contrairement à celui de ma mère et de ma sœur. La marque des plus hauts placés, ceux qui ont eu des résultats particulièrement brillants au Test. Je me force à me détendre et à me répéter que je n'ai rien fait de mal, mais les obéis répétés de mes parents ont pris une autre dimension et je n'arrive pas à les chasser de mon esprit. Finalement, elle ne laisse qu'une ou deux minutes s'étirer avant de prendre la parole et de poser le dossier qu'elle était en train de consulter. Le mien, comme je ne tarde pas à le comprendre en décryptant à l'envers le nom clairement inscrit sur chaque page.

« Nolan Sanders, une ascendance génétique stable et correcte, des résultats scolaires plutôt bons même si tes enseignants regrettent un manque d'investissement dans quelques matières. »

Elle me parle vraiment de mes résultats scolaires ? Je ne comprends pas tout, m'attendant plus à des reproches en arrivant ici. Mais que je ne m'inquiète pas trop, je sens qu'ils vont venir. Sinon, pourquoi serais-je ici, face à la personne la plus important de la ville, directement après le Premier Conseiller ? J'acquiesce donc, n'osant pas décrocher un mot qui pourrait être mal perçu.

« Discret mais pouvant être insolent. Loyal en amitié, tendance à sur-réagir. Caractère sujet à d'importantes variations. Tu as le profil type d'un morphiste, tu le sais ? Ils ne sont pas très fréquents mais tu peux tout à fait prétendre à une fonction par la suite. »

Je me mords la lèvre. Je n'ai pas trop réfléchi à ma catégorie : on nous encourage à ne pas nous y intéresser avant nos seize ans et depuis la disparition de Bastien, ça n'a pas été dans mes priorités loin de là. Pourtant, à première vue, je suis assez d'accord avec elle : les morphistes sont réputés pour être plutôt sociables, bon vivants, légèrement lunatiques mais surtout sachant s'adapter aux situations quelles qu'elles soient. En revanche, je note une autre caractéristique de cette catégorie à laquelle elle n'a pas fait référence. Et qui me pend pourtant au nez.

« J'imagine oui, mais je ne pense pas vraiment partager leur tendance à jouer avec les règles. »

Autant prendre les devants. Obéis, suis les règlements, mes parents ont insisté là-dessus les dernières semaines et dès ma montée dans le train, Forester met en avant mon caractère de morphiste ? Elle prend le temps de me regarder par-dessus ses lunettes dans un demi-sourire, je lui offre un sourire timide.

« En effet, tu as un carnet scolaire presque sans tâche, c'est encourageant. J'espère qu'il va le rester dans les mois à venir. »

Elle pose ledit carnet sur le reste de mon dossier et enlève ses lunettes avant de rajouter :

« Tu étais dissipé tout à l'heure. Pourquoi, ce que je disais ne t'intéressait pas ? »

Je sens un frisson dégringoler ma colonne vertébrale. C'est pour ça qu'elle m'a fait venir. Bien sûr. Je n'y pensais plus mais ça me semble évident maintenant. Après tout, un Surveillant a bien remarqué que mon attention dérivait. Mais ce n'est pas grave, n'est-ce pas ? Je ne suis pas le seul caractère morphiste au monde, même si cette catégorie est très peu représentée. Il doit bien y avoir tous les ans des hurluberlus dans mon genre pour lui faire répéter son discours. Non ?

« Je... j'étais distrait à l'idée de partir, Madame, je pensais à ma grande soeur et mes parents. »

C'est tout ce que je trouve à lui répondre. Je ne vais quand même pas oser lui faire remarquer que tout ce qu'elle a pu dire nous le savions déjà et qu'elle ne nous a strictement rien appris de nouveau, ce serait mal vu. Mes yeux dérapent sur le dossier, glissent sur les graphes et les marques génétiques mis en avant.  Plusieurs lignes sont soulignées, en couleur, je suis incapable d'en comprendre la teneur mais inutile d'être généticien pour voir le principal : ils se sont intéressés à moi. Je n'ose pas la regarder dans les yeux sans savoir exactement ce dont j'ai peur, ce que j'ai peur d'y trouver. Ce n'est pas que je mens, je ne vois d'ailleurs qu'aucun intérêt à lui mentir sur l'origine de ma distraction, je me contente juste de taire ce qui pourrait la vexer. Rien de répréhensible à mes yeux.

Tu auras 24h - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant