Première nuit au Centre

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Je me réveille en sursaut, le souffle court. Je ne suis pas dans ma chambre. Je ne suis même pas dans mon lit. Il me faut une dizaine de battements de cœur pour me souvenir que je suis dans le dortoir du groupe quinze, en plein cœur du Centre. Nous sommes quarante dans le groupe, finalement. Et nous ne sommes que deux de ma ville natale : moi et une fille dénommée Marjolaine, à qui je n'ai jamais eu l'occasion de parler. Je me souviens seulement de l'avoir aperçue se disputer avec quelqu'un sur le quai de la Centrale, je ne me souviens que de l'avoir croisée dans la rue, dans un autre lycée, avec d'autres amis. 

Encore endormi, je me prends la tête entre les mains, cherchant autour de moi ce qui a pu me réveiller ainsi en sursaut. Dehors, tout est calme. Je me glisse hors de mon lit, effleure de mes pieds nus le carrelage glacé. Les ronflements des trente-neuf autres me confirment ce dont je me doutais : nul réveil n'a encore sonné pour nous faire lever. La fenêtre la plus proche m'attire, je m'y faufile et me mets sur la pointe des pieds pour parvenir à voir l'extérieur de la pièce. Je ne distingue pas grand-chose, seulement l'ombre des autres tours. Je me désintéresse de la vitre pour observer le reste du dortoir. Après notre arrivée à la gare et notre répartition, j'ai définitivement perdu de vue Sophie, j'ignore même où se situe son dortoir. Nous avons suivi un Agent référent, un morphiste haut-catégorisé comme le tatouage mu le prouve, brillant d'un ton orange clair dans sa nuque. Il a refusé de répondre à presque toutes nos questions, n'a consenti à décrocher un mot que pour nous donner l'heure du dîner et nous informer qu'on nous fera visiter le complexe en temps et en heure.

Et maintenant, mon esprit vagabonde. dans la pièce, je reviens m'asseoir sur le bord de mon lit. Nous n'avons pas le droit de sortir des dortoirs avant la sonnerie indiquant l'heure du réveil, ils ont été très clairs à ce sujet. La punition n'a pas été énoncée : ça aurait été une perte de temps inutile. Que nous ont répétés tous nos enseignants ? Suivez les règles. Contentez-vous de suivre les règles. Personne, strictement personne n'a envie d'échouer, ou ne serait-ce que d'être pénalisé pour le Test dès le premier jour au Centre, cela va sans dire.

Je me laisse retomber sur mon lit, croise les bras dans ma nuque pour fixer le plafond. Aucune personnalité dans le dortoir où nous dormons tous, sans séparation garçon-fille. Aucune décoration, seules quelques photos ont été accrochées à la va-vite hier au-dessus des bureaux, au-dessus des lits. Aucune perte d'espace non plus : rangements pour les habits à deux endroits différents, sous le lit et à l'une des extrémités dans de hautes armoires, alternance de lit et de bureau ; au fond, une petite pièce armée de lavabos et d'un WC pour compléter ceux qui se trouvent à l'étage et auxquels on n'a pas accès une fois le couvre-feu sonné. Toujours dans l'unique pièce, qui doit couvrir la moitié de l'étage, une bibliothèque minimaliste, un salon, armé d'écrans et de consoles. Le message est clair : puisque tout est mis à votre disposition ici, vous n'avez strictement aucune raison de sortir et de braver l'interdit.

J'ai envie de sortir. Très envie. La voix de Nancy Forester résonne encore dans mon esprit, ses mises en garde aussi. Tu n'as aucun intérêt à attirer l'attention m'a-t-elle dit. Je me relève, atteins la porte, la main sur la poignée. Sois discret, obéis. La tentation est forte. Très forte. Je ne sais pas quelle heure il est, les montres font partie des objets interdits. Dehors il fait encore nuit noire, pas la moindre lueur à l'horizon, il doit être entre trois, quatre heures du matin j'imagine. Première nuit, je suis déjà tenté d'aller à l'encontre de règles énoncées clairement et répétées la veille. Il faudrait que je retourne me coucher mais le sommeil me fuit et j'ignore toujours ce qui m'en a tiré. Le couloir, l'extérieur, le bâtiment dans son ensemble est un appel à la découverte. Mais... obéis, la voix de ma soeur, de mes parents, de Forester, son tatouage voltige autour de moi. Un nouveau soupir, je me détourne de la porte et me dirige vers le coin télé, sans oser en allumer une de peur de réveiller quelqu'un d'autre. D'un fauteuil, j'aperçois les livres sagement alignés, je me relève pour en parcourir les titres. L'Enseignant qui nous a fait visités le Centre une fois nos bagages défaits nous a bien répétés que chaque bâtiment était autonome, et qu'ainsi, dans toutes les tours, une même bibliothèque s'étendait sur un étage complet. Un bâtiment, trois groupes. Un bâtiment, une large bibliothèque, un réfectoire, des salles de classe, des salles de jeux, des salles de sports. Le Centre, qu'il soit ou non responsable de la disparition de Bastien, qu'il nous impose ou non des contraintes qui me font penser à une véritable prison, a malgré tout la réelle vocation d'être un internat. Et nous allons étudier, cette année, plus que sérieusement.

Tu auras 24h - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant