Tu auras 24h - tome 1

Que savez-vous des catégories ?

« Que savez-vous des catégories ? »

La question est brutale et le silence qui la suit en révèle bien plus que tout ce qu'on aurait pu chercher à répondre. Ce que l'on sait des catégories ? Qu'elles nous sont attribuées après le Test sans savoir exactement en quoi consiste ledit Test et qu'elles sont en rapport avec notre caractère, nos qualités et nos défauts et aussi nos résultats scolaires. C'est le professeur Porter, tactile inanimé, haut-catégorisé, qui vient de nous laisser muets de la sorte. Que savons-nous, au final, des catégories ? Ça fait bientôt un mois que nous sommes au Centre et j'ai eu le temps de me rendre amèrement compte de deux choses : que j'ai eu beau faire, je n'ai pas pu voir Sophie malgré tous mes efforts et surtout que je n'avais apparemment aucune raison d'angoisser. C'est une école, un internat. C'est une école, ayant fait l'exploit de regrouper au sein des classes les étudiants partageant les mêmes traits de caractère : j'ai eu le temps de me rendre compte que si d'après Forester, j'ai le profil type d'un morphiste, alors tout le groupe quinze l'a également. Une théorie que j'ai longuement éprouvée, mais qui n'a cédé le pas devant aucun étudiant de la classe. Chacun d'entre nous présente toutes les caractéristiques qu'on puisse attendre de futurs morphistes. Et ça ne m'étonnerait pas que ce soit la même chose pour les autres groupes.

Le Centre est donc une école, avec des classes un peu particulières. Un internat, aussi : voilà ce qu'est le Centre en réalité : un internat. Nous ne sortons que très peu du bâtiment, nous ne côtoyons que les groupes qui logent dans la même tour que nous. Nos journées sont rythmées par un enchaînement éreintant de cours et d'activités extrascolaires, avec une insistance évidente sur la qualité des devoirs qu'on peut avoir à rendre et notre implication en toute chose. Une école, usante aussi par son exigence. Mais comme l'a si bien fait remarquer Damien avant-hier, une fois sortis de la bibliothèque, on n'a pas vraiment d'autre choix que de travailler. Les matières sont les mêmes que les années précédentes, la familiarité de l'univers scolaire est un point de repère conséquent, la pluralité des sports que nous découvrons nous permet de toucher à tout. 

Il n'y a guère que le cours du professeur Porter qui soit réellement inhabituel : cours que nous avons pour la première fois aujourd'hui. Que savons-nous, donc, sur les catégories.

Justine et Eloi lèvent la main pour se faire remarquer et entretenir cette rivalité qu'ils affichent depuis le premier jour : je préfère pour ma part bailler en regardant l'extérieur de la salle de classe. Mes doigts s'amusent à dessiner les symboles des catégories sur la table. Porter finit par interroger Eloi, après un temps de silence.

« Elles sont au nombre de cinq ?

- Oui. C'est exact, un enfant le sait, mais encore ? »

Eloi se recroqueville sous la douche froide. De toute évidence, sa réponse est trop superficielle pour retenir l'attention de Porter. La main de Justine se baisse et un croisement de regards me rassure : personne ne sait vraiment quelle réponse le professeur attend. Petit à petit, tout le monde y va de son hypothèse et de son interprétation sans que Porter ne soit une seule fois satisfait ni même intéressé. Les noms des cinq catégories défilent, les anecdotes aussi, de la forme des tatouages à la couleur qu'ils ont lorsqu'ils sont arborés par les hauts catégorisés, comme le sont tous nos enseignants et l'ensemble des Agents de sécurité. Le Centre, une école où les professeurs attendent de nous des connaissances qu'on ne peut pas avoir et donc qu'on fasse preuve de déduction en plus d'intelligence. Qu'est-ce qu'on sait sur les catégories ? Je pense à ma mère et à mon père, à ma sœur, aux caractéristiques des différentes catégories qu'on côtoie tous les jours, à la remarque qu'avait faite Nancy Forester dans le train sur les prédispositions pour devenir un morphiste. Et je repense inévitablement à ma théorie sur la composition des groupes.