Chapitre 1

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Loin de toute autre habitation, perdue dans une végétation luxuriante, une chaumière bretonne abritait la famille Auboiroux. Ils vivaient là depuis de nombreuses années, menant une vie simple, à l'abris des soucis de la ville.

C'était la fin de l'été 1833, et les soirées étaient encore chaudes. Pour se rafraîchir, Pierre et Elisa avaient décidé de se baigner dans l'étang voisin. Même si les grands chênes cachaient cet endroit paradisiaque, on pouvait entendre l'éclat de leurs rires. Ils se jetaient de l'eau en éclaboussant partout autour d'eux. Les quelques canards qui vivaient là avaient été se mettre à l'abris sous les roseaux, non sans rouspéter à grands coups de cancans. Après un jet d'eau reçu en pleine figure, la jeune fille repoussa ses longs cheveux bruns en arrière et s'essuya les yeux pour voir à nouveau son compagnon de jeu. L'autre profita de cet instant d'inattention pour disparaître sous l'eau. Il réapparu soudainement devant Elisa et l'entraîna sous la surface. La jeune fille se redressa tant bien que mal, et repoussa Pierre qui retomba un peu plus loin, éclaboussant les canards excédés. Ce fut un appel de leur femme de chambre, Marguerite, qui mit fin à leur jeu.

–Mademoiselle Elisa ! Un homme demande à vous parler, expliqua-t-elle en prenant garde de rester suffisamment à distance pour ne pas recevoir d'eau.

Les jeunes gens sortirent de l'eau, toujours riants, et commencèrent à se sécher à la hâte.

–Un homme, dis-tu, mais qui ça ? demanda la jeune fille en passant la serviette à Pierre.

–Je ne le connais pas, Mademoiselle Elisa.

–Pourquoi veut-il me voir ? Il a vu Papa ?

–Je ne sais pas, Mademoiselle Elisa, répéta Marguerite en récupérant le drap que Pierre lui tendait.

–Je me demande bien qui cela peut-être. Où se trouve-t-il ? Et a-t-il l'air de quelqu'un d'important ? Dois-je changer de toilette ? questionna-t-elle en enfilant rapidement une robe de lin.

–Il se trouve dans l'antichambre de Monsieur. J'ai monté une tenue dans votre chambre.

–C'est un prétendant...la railla le jeune homme.

Elisa lui adressa un sourire provocateur, tout en prenant un air faussement supérieur. Elle suivi rapidement Marguerite pour mettre une tenue plus adéquate. Elle ne voulait pas se faire attendre trop longtemps. Sa femme de chambre l'aida à passer une longue robe vert émeraude, resserrée à la taille par une ceinture souple dorée. Lorsqu'elle redescendit, elle croisa Pierre qui l'informa que l'homme l'attendait à présent dans le salon.

–Il ne veut parler ni à moi, ni à nos parents, il m'intrigue... lui souffla Pierre.

–Je te raconterai, promit Elisa tout aussi curieuse.

Elle lui adressa un dernier sourire et entra dans le salon. Elle se demandait ce que lui voulait ce mystérieux inconnu. Un jeune homme brun en costume sombre se tenait près de la cheminée. Il tenait ses gants de cuir noir et son chapeau à la main. Lorsqu'il entendit Elisa arriver, il se retourna, s'avança vers elle et la salua.

–C'est un plaisir de vous rencontrer, Mademoiselle De Marcy, s'inclina-t-il de manière très guindée.

Elisa fut surprise et un peu déçue. Il devait y avoir erreur, ce n'était finalement pas elle que l'homme venait voir.

–Excusez-moi, on a dû mal vous renseigner, je suis Elisa Auboiroux, le corrigea-t-elle.

–Vous n'êtes donc pas au courant de toute l'histoire ? Cela ne m'étonne pas...

–Pardonnez-moi mais ne vois pas ce que vous voulez dire, vous devez vous méprendre, reprit Elisa qui commençait à trouver le personnage étrange.

L'individu se permit de s'asseoir sur le canapé, et croisa les jambes.

Cette attitude choqua Elisa qui trouva l'homme très impoli.

–N'avez-vous pas une domestique du nom de Marguerite ?

A ces mots, Elisa commença à s'inquiéter.

–Comment le savez-vous ? Et en quoi cela vous regarde-t-il ?

–Elle était au service de Monsieur et Madame De Marcy, vos parents.

Elisa eut un hoquet de stupeur. De quoi parlait-il ? Cet homme se trompait à coup sûr ! Il n'y avait aucun doute possible ! Mais qu'il ose venir lui dire ça ! Un inconnu en plus ! Complètement désorientée, elle recula vers la sonnette avec laquelle elle pouvait appeler les domestiques. Cet homme était décidément incohérent.

–Je ne comprends pas ! Elle a peut-être eu d'autres maîtres, mais je vous prie de ne pas insulter ma famille, Monsieur, déclara-t-elle d'un ton froid.

–Elle vous a enlevée à vos parents sur ordre de M. et Mme Auboiroux, assura l'inconnu.

Paniquée, Elisa tira la sonnette. S'en était trop. Il ne pouvait pas tenir de pareilles insinuations avec autant d'aplomb !

–Monsieur ! Je vous interdis de dire de telles choses ! Maintenant, veuillez sortir immédiatement de cette pièce !

Mais l'homme ne bougea pas. Il la regarda d'un petit sourire moqueur, presque provocateur.

Elisa se sentit affreusement impuissante devant la désobéissance de l'homme. Pourtant, elle ne pouvait pas perdre la face jusqu'à l'arrivée de l'un des domestiques. Elle senti la rage monter, ouvrit de grands yeux et inspira un grand coup.

–Et qui êtes-vous pour oser venir faire ces odieuses accusations ? fulmina-t-elle.

–Il s'agit pourtant de la vérité...

Il se leva et poursuivit :

–Je suis détective, Gustave Poirier, pour vous servir.

Il effectua une révérence théâtrale en retirant son chapeau. Marguerite ouvrit la porte au même moment.

–Marguerite, cet homme est venu calomnier la famille, fais-le sortir ! s'écria Elisa en se dirigeant vers la porte d'un pas vif.

Mais Gustave Poirier l'interrompit en tendant son bras et s'adressa à Marguerite.

–C'est parfait, restez-là, et dites-lui que vous l'avez enlevé à ses parents, dites-lui qu'elle ne se trouve pas dans sa véritable famille.

L'homme avait l'air satisfait et souriait comme un enfant qui arrive à ses fins.

–Monsieur ! Je ne vous permets pas, répliqua Marguerite offusquée, les mains sur les hanches. Elle eut cependant un furtif regard triste en direction Elisa. Cette dernière l'intercepta et son cœur fit un bond dans sa poitrine.

–Comment ça ? Marguerite, je t'en prie, ne me dis pas que c'est vrai ! s'écria Elisa en portant ses mains à son cœur.

–Je vais chercher Monsieur et Madame, répondit simplement la domestique, la voix tremblante.

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant