Chapitre 9

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Elle détourna son attention des bambins pour se concentrer sur l'homme que Gustave lui désignait discrètement.

—Qui est-ce ? voulu-t-elle s'informer.

—Le banquier que j'ai vu ce matin. C'est également celui de M. Morec, mais bien sûr, nous ne sommes pas censés savoir cela.

Elisa hocha discrètement la tête. Ils arrivèrent rapidement à la hauteur de l'homme. Il s'agissait d'un homme gras de la cinquantaine, dont le chapeau haut-de-forme cachait mal une calvitie naissante.

—Oh, Monsieur Villaux, quelle surprise de vous voir ici ! Permettez que je vous présente ma femme, Mme de La Tour, s'exclama Gustave Poirier en désignant Elisa.

—Je viens souvent ici l'après-midi, répondit-il en saluant la jeune femme.

Elisa devina qu'ils ne le croisaient pas par hasard et que Gustave s'était renseigné sur les habitudes de cet homme.

Le banquier demanda à Elisa ce qu'elle pensait de la capitale, ils parlèrent quelques instants, par politesse, puis les hommes commencèrent à discuter entre eux.

—Je voudrais investir dans une entreprise fleurissante, voyez-vous, commença Gustave.

Le banquier commenta qu'en effet, c'était une bonne idée, compte tenu de sa fortune, et leur proposa de faire un bout de chemin ensemble.

—Les entreprises en croissance, ce n'est pas ce qui manque, à condition d'être vigilant. Je connais quelqu'un qui tient une grande entreprise. Pour ne rien vous cacher, il s'agit de l'un de mes meilleurs clients.

—Et de quelle entreprise s'agit-il ?

—Morec-Vapeur. Je pourrai vous faire rencontrer son patron si vous le souhaitez.

Elisa sursauta à l'évocation d'une rencontre avec Joseph Morec. Elle regarda Gustave d'un œil inquisiteur. Il avait bien préparé le terrain.

Gustave fit mine d'être enchanté par la proposition de son interlocuteur.

—Il faut être rassuré lorsque l'on place une telle somme d'argent, renchérit-il.

Le banquier hocha la tête. Ils parlèrent encore de choses moins importantes, pour meubler l'instant. Elisa les suivait en silence. Elle percevait de plus en plus Gustave Poirier comme un fin manipulateur. Une peur la saisi soudain. Ne faisait-elle pas elle-même partie d'un plan du jeune homme ? Était-il vraiment là pour l'aider ou pour une autre affaire bien moins louable ? Après tout, il n'avait aucun avantage à l'aider. Le banquier les quitta. Ils se retrouvèrent face à face.

—Vous connaissiez les habitudes de ce monsieur, n'est-ce pas ?

—Peut-être bien... répondit-il d'un ton mystérieux.

-—Pourquoi ne me dites-vous pas tout ? Je suis la première concernée !

Il garda la tête droite sans lui accorder un regard.

—Ce sont des reproches ?

—Oui, en quelques sortes.

—Et bien, j'en suis navré, et à l'avenir j'essayerai de vous tenir informée.

Son ton était égal. Ni désolé, ni agacé. Elisa avait le pressentiment qu'il n'avait nullement l'intention de faire cet effort. Sachant qu'il était là pour l'aider, cela la préoccupait. N'était-ce pas elle qui avait fait appel à lui ? Elle plissa le front, soucieuse.

—Je vous remercie...Si vous parvenez à tenir votre promesse.

Gustave changea de conversation et l'invita au restaurant. Elle soupira, et accepta. Elle ne tirerait rien de lui ce jour-là. Elle revint à la charge le lendemain en lui demandant ce qu'elle ignorait encore, mais il se bornait à lui répondre que ce n'était rien dont elle puisse avoir besoin. Elisa avait l'affreux sentiment de se faire promener dans l'obscurité. Pourtant elle avait besoin de Gustave et devait même avouer que ses méthodes avaient été, jusque-là, efficaces.

Le surlendemain, ils reçurent deux lettres. L'une de M. Morec, et l'autre de Pierre. Gustave s'empara de la première et Elisa de la seconde.

—Il est rapide. Que dit-il ? l'interrogea-t-elle.

—Il nous invite chez lui à dîner la semaine prochaine.

Le cœur d'Elisa fit un bond dans sa poitrine. Elle savait à présent quand elle allait voir l'ancien ami de ses parents, potentiellement l'assassin de son père. L'échéance se rapprochait terriblement.

—Oh déjà ! Comme je suis anxieuse ! J'en tremble déjà !

Gustave haussa les épaules.

—Mmm, je me doutais que vous diriez cela.

—Mais vous rendez-vous compte il a peut-être tué mon père !

—Ne tirons pas de conclusions hâtives. Que dit la lettre de votre frère ?

Elisa fut tentée de lui répondre que ce n'était plus son frère à présent, ou du moins plus vraiment. Mais elle s'abstint. La lettre ne contenait rien d'intéressant concernant l'enquête mais elle en profita pour tenter de prendre sa revanche sur le détective.

—Chacun a ses petits secrets M. Poirier, lança-t-elle, moqueuse.

Au même moment, Bleuenn Lucas entra dans la pièce.

—Oui, ce cher bon M. Poirier ! Je suis ravi que les nouvelles soient bonnes ! rattrapa alors Gustave, d'un ton faussement enjoué.

Elisa le regarda en penchant la tête, l'air interrogateur. Gustave lui fit signe de la tête de le suivre à l'étage. Elle lui emboîta le pas en jetant un dernier regard à Bleuenn.

—Elle ne comprends pas le français ! chuchota-t-elle au détective après avoir refermé la porte.

—Ne croyez pas que les petites gens sont tous des idiots. Elle ne comprend peut-être pas très bien le français, mais assez pour discuter avec la bonne de la voisine, qui je peux vous le dire, est une parisienne de Paris.

Elisa fut prise de sueurs froides.

—Vous croyez qu'elle a compris notre manège et qu'elle va nous trahir ? s'effraya-t-elle, doit-on la renvoyer ?

Gustave haussa les épaules en faisant une grimace.

—Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Appelons-nous par nos faux noms et jouons notre rôle dans les moindres détails.

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant