Chapitre 13

19 4 1
                                    

Elisa ne se le fit pas dire deux fois. Elle se leva et claqua la porte derrière elle. Elle s'adossa à la porte, effrayée. Gustave avait été terrifiant. Elle regretta d'avoir poussé le détective aussi loin dans ses retranchements. Si seulement elle avait pu s'y attendre ! Gustave avait une maîtresse ! Il pouvait donc ressentir de l'amour pour une femme ! Cet homme avait donc des sentiments. Ce fut, dans un premier temps, l'unique idée qui la choqua. Elle appuya sa tête contre la porte de chambre du détective et resta songeuse un moment. Elle le connaissait si peu finalement. Mais pourquoi ne l'épousait-il pas ? Était-ce une femme mariée ?

Une autre idée fit bondir son cœur. Gustave lui-même était-il déjà marié à une autre ? Elle soupira. Si c'était le cas il ne s'était jamais ouvert à elle, et cela la peinait. Elle eut soudain l'impression d'être restée avec un personnage, inventé par Gustave, comme ceux qu'ils jouaient devant les autres personnes. Après tout, elle ne devait être qu'une « affaire à résoudre » parmi tant d'autres. Elle qui avait commencé par détester Gustave avait complètement mis de côté le métier du détective pendant cette enquête. Elle senti qu'elle s'était bercée d'illusions en pensant qu'il en ferait, comme elle, une affaire personnelle.

C'est alors qu'un bruit attira son attention. Elle colla son oreille à la porte. Oui, elle n'avait pas rêvé. Un léger bruit de sanglot ressortait de la chambre. La tentation d'Elisa fut trop grande. Elle ne pouvait pas le laisser ainsi. Elle savait qu'elle l'avait blessé dans son amour propre et se tenait pour responsable du chagrin de celui qu'elle considérait comme son ami. Elle désespérait seulement que cela ne soit pas réciproque. Elle frappa à la porte.

—Laissez-moi.

Elle n'y prit pas garde et poussa doucement la porte. Gustave était assis sur son lit, dos à la porte. Il se tenait, le dos voûté, la tête dans les mains. En entendant la porte, il ravala ses larmes et essuya ses larmes d'un revers de manche.

—Je vous ai demandé de me laisser, reprit le jeune homme en tentant de ne pas faire trembler sa voix.

—Je voulais m'excuser, glissa Elisa ; j'ai vraiment été indiscrète.

—Ce n'est pas grave, c'est fait.

Comme il n'ajoutait rien et gardait la tête dans ses mains, Elisa contourna le lit et arriva devant lui. Elle qui pensait que les émotions ne faisaient que ricocher sur cet homme, avait de la peine de le voir ainsi. Il ne pleurait pas, mais ses doigts tremblaient en s'agrippant à sa face. Elle s'agenouilla pour être à sa hauteur.

—Voyons, ne vous mettez pas dans cet état. Après tout, cela vous regarde.

Il se contenta de secouer la tête sans la relever, gardant les yeux clos. Elisa eut alors le pressentiment qu'il restait quelque chose sur le cœur du détective qui n'avait pas été dit.

—Dites-moi ce qui ne va pas. Je peux vous aider. Je vous en prie, confiez-vous à moi comme à une amie.

—Non. Merci, mais vous ne pouvez pas, lui dit-il en relevant ses yeux rouges.

—Commencez par me raconter toute la vérité, suggéra-t-elle. Mais je ne pourrai vous laisser dans cet état. Cela ne vous ressemble pas.

—Si je vous le disais, vous n'auriez plus d'estime pour moi.

Ces paroles allèrent droit au cœur d'Elisa, lui rosissant légèrement les joues. Le détective tenait à être apprécié. Elle devait donc bien compter un peu pour lui.

—Impossible, le réconforta-t-elle ; n'ayez pas peur, dites-moi ce que vous avez sur le cœur.

Il prit une grande inspiration et invita Elisa à s'asseoir à côté de lui sur son lit. Il fixa un motif du papier peint et, figé, commença à se livrer.

—C'est elle qui me fournit les renseignements dont j'ai besoin. Elle a des relations haut-placées et peut me fournir tout ce que je lui demande pour parvenir à mes fins sur le plan matériel.

—Vous l'utilisez ? demanda Elisa surprise.

—Non, c'est elle qui m'emploie. Mes récits d'enquêtes l'amusent.

Elisa resta un moment un hochant la tête lentement. Cette femme était donc sa patronne... cependant, elle ne comprenait pas ce que venait y faire la notion d'amusement. Le détective se leva alors subitement et déclara en ouvrant les mains :

—Mais maintenant me voilà pris au piège ! Je résous les enquêtes qu'elle veut, comme un bon chien ! Elle me donne toutes les informations nécessaires et me laisse jouer le rôle du détective. Je ne suis qu'un clown qui amuse une bourgeoise !

Il tapa du pied et fit un tour sur lui-même en empoignant les mèches de cheveux qui tombaient sur ses tempes.

—Pourquoi ne pas avoir arrêter de la voir ? suggéra Elisa qui n'aimait pas savoir Gustave utilisé de la sorte.

—Elle m'a prêté beaucoup d'argent. Ce n'est que grâce à elle que je subsiste. Elle paye le nécessaire à mes enquêtes, et les à-côtés. Si j'arrête de lui obéir, je me retrouverai à la rue, sans argent, endetté même. Et puis elle sait des choses sur moi qui feraient scandales si elles venaient à être sues.

Elisa avait serré les poings devant ce chantage odieux.

—Arrêtez de la voir quand même, je vous en prie, rien ne m'est plus insupportable que de vous savoir sous le joug de cette femme.

—Mais elle a des relations très haut placées et pourrait réduire ma carrière à néant en un claquement de doigts. Et puis, je dois bien gagner mon pain... Non, vraiment, ma situation n'est pas à plaindre.

Il repassa ses cheveux en arrière et tenta d'adopter un air serein. Elisa soupira.

—Pour ce qui est de l'argent, nous pourrons toujours nous arranger. Tournez la page avant qu'il ne soit trop tard. Vous êtes encore jeune, Gustave, vous pouvez refaire votre vie, devenir indépendant. Tant pis pour les ragots. Si c'est aussi terrible qu'elle le dit, vous pourrez toujours partir à l'étranger. Mais, je vous en conjure, ne retournez pas la voir !

—Non, je ne veux pas que vous me preniez en pitié. Je peux me débrouiller seul.

La fierté de Gustave fit sourire tendrement Elisa. Elle distinguait enfin le petit garçon blessé que s'appliquait à dissimuler le détective sous son cœur de pierre.

—Acceptez au moins mon aide en tant qu'amie ! Si vous aviez pu vous débrouiller seul comme vous le dites, vous l'auriez quittée depuis longtemps. Si nous menons à bien notre enquête, je vous devrai au moins ça. Cela me fait trop de peine de vous voir ainsi.

Il releva vers elle ses yeux pleins d'espoir mal dissimulé et accepta finalement de réfléchir à sa proposition.

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant