Chapitre 12

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La semaine passa lentement. Elisa, coincée dans sa grande maison n'avait d'autres occupations que de préparer sa toilette pour le jeudi suivant. Le reste du temps, elle tournait en rond et regardait les pluies de printemps battre les carreaux. De temps en temps, elle écrivait à Pierre ou bien sortait acheter un livre, qu'elle dévorait en quelques heures. 

Gustave rentrait seulement le soir. Elle ignorait tout de ses occupations de la journée et il refusait de la renseigner sur le sujet. Elle avait beau le questionner, lors du dîner, il restait évasif. Un soir, cependant, il lui parut plus fébrile qu'à son habitude. Avant que Bleuenn n'apporte le fromage, il la pria de l'excuser, et monta dans sa chambre, avançant une terrible fatigue. 

Elisa n'en cru pas un mot mais ne laissa rien paraître. Elle le regarda gravir les escaliers, attendit quelques instants, plia sa serviette et monta à sa suite, sur la pointe des pieds. Elle vérifia que Bleuenn ne l'avait pas suivie et colla son oreille à la porte. D'abord, elle ne remarqua rien de spécial, puis, au bout d'un moment, elle perçut un léger claquement, très faible, mais régulier. Le son persistait, piquant un peu plus à chaque fois la curiosité de la jeune fille. Elle pensa que Gustave pouvait être en train d'envoyer un message codé. S'il le faisait en cachette, c'était par conséquent que ses intentions n'étaient pas louables. Elle décida d'en avoir le cœur net. Elle frappa à la porte et entra sans attendre de réponse. La chambre était plongée dans une glaciale obscurité. Un courant d'air la figea. Le claquement provenait en fait d'un battant de fenêtre mal fermé. Devinant une masse sombre sur le lit, elle eut honte d'avoir douté de lui. Prise de pitié pour le détective souffrant, elle commença par fermer la fenêtre.

—C'est normal que vous tombiez malade si vous laissez la fenêtre ouverte à tous les vents... chuchota-t-elle d'un doux ton de reproche.

Comme il ne répondait pas, elle décida d'expliquer sa visite inopportune.

—Excusez-moi, je voulais savoir si vous prévoyiez quelque chose de spécial pour demain, à l'hôtel de ville. Je ne voulais pas en parler devant Bleuenn.

Gustave ne répondait toujours pas. Elisa jugea qu'il était plus sage de le laisser dormir et qu'ils pourraient en reparler le lendemain. Puis, soudain prise d'un élan de sympathie, elle courut chercher un verre d'eau et quelques biscuits secs qu'elle déposa sur la table de nuit, au cas où une fringale prendrait le détective dans la nuit. Après tout il n'avait pas fini son repas. Elle releva sa lampe vers le visage de Gustave afin de surveiller son état et sursauta. Ce n'était pas lui. Gustave n'y était pas. Il avait seulement roulé des draps pour simuler un corps. Elle serra les poings, outrée. Cela expliqua d'un coup la fenêtre ouverte et le silence du détective. Les pressentiments d'Elisa étaient donc fondés. Sa mauvaise conscience s'évapora immédiatement. Gustave tramait bien quelque chose.

Sa résolution était prise. Elle devait découvrir de quoi il s'agissait et qu'elle le mette devant le fait accompli. Le temps était venu qu'il abatte toutes ses cartes.

Elle tira une chaise vers elle, et s'y assis, bien décidée à l'attendre. Les minutes s'égrainèrent et les heures coulèrent. Malgré sa détermination, les paupières d'Elisa s'alourdirent. Elle sombra alors dans le sommeil, sans même s'en rendre compte.

Un effleurement la réveilla en sursaut. Elle se redressa, comme piquée par une force invisible. Gustave était rentré et se tenait devant elle, agenouillé à sa hauteur. Il avait posé une main sur son épaule.

—Tout va bien ? lui demanda-t-il l'air inquiet ; que faites-vous là ?

Elisa mit quelques secondes avant de remettre tous les évènements en ordre dans son esprit. Elle prit une inspiration et bomba le torse pour se donner plus d'aplomb.

—Je vous attendais, déclara-t-elle.

Gustave, devinant la pluie de questions qui allait s'abattre sur lui, se dirigea vers son miroir en soupirant.

—Ou étiez-vous ? poursuivit Elisa.

—Je suis parti régler quelque affaire. C'est sans importance pour vous.

—Dites-moi. Vous savez tout de moi. J'exige d'en savoir autant sur vous.

—Non, cela ne vous regarde pas.

—Cela me regarde tant que vous travaillez pour moi. Qui me dit que vous ne travaillez pas pour l'assassin de mon père ? J'exige de savoir.

—Mais il n'y avait rien, vous dis-je ! J'avais simplement besoin de prendre l'air. J'ai été à l'opéra, déclara-t-il finalement avec un geste désinvolte de la main.

—Vous aviez besoin de vous cacher pour aller à l'opéra ? reprit-elle suspicieuse ; je ne suis pas détective mais je sais reconnaître un mensonge. Allons, arrêtez de me prendre pour une idiote !

Gustave prit une grande inspiration, mais ne répondit pas.

—Alors ? le pressa-t-elle ; pourquoi sortir en cachette ? Que me cachez-vous ?

—Rien qui ne vous concerne, persista-t-il.

—Donc vous avez quand même quelque chose à cacher. Ou êtes-vous allé ? Je ne vous lâcherai pas.

—Pourquoi voulez-vous savoir ? s'impatienta-t-il.

—Pourquoi vouliez-vous savoir pour mes parents ? répliqua-t-elle d'un ton égal.

—Ce n'est pas la même chose.

—Si.

Gustave se tut. Ses traits étaient à présent tendus au maximum. Il lui tournait le dos mais elle voyait dans le miroir qu'il rougissait. Jamais elle n'avait décelé une quelconque émotion chez lui auparavant. Il était sur le point de craquer. Elle le savait, le sentait. Un dernier effort, et elle saurait tout ce qu'elle voulait savoir.

—Je ne partirai pas, alors dites-moi.

Gustave se retourna alors brusquement vers elle. Il la fixa d'un air assassin. Elisa en eu des frissons dans le dos. Elle vit les éclairs passer dans les yeux bleus, d'habitudes si calmes, du détective. Elle avala sa salive, regrettant subitement de l'avoir poussé à bout. S'il la tuait personne ne la retrouverait jamais...

—J'ai été voir ma maîtresse ! lui cracha-t-il ; maintenant sortez !

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant