Chapitre 7

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Le détective fut recontacté et le voyage organisé pour le printemps suivant. Elisa était prête ce matin, lorsque Gustave Poirier sonna à leur porte. Elle l'attendait depuis l'aube, ce qui se caractérisait par des allers retours incessants à la fenêtre. Tout était fin prêt pour le départ. Ses valises patientaient dans l'entrée. Ses parents lui avaient confié une petite peinture de leur groupe d'amis. Elle avait été faite en 1814, chez un peintre de la région de Castans. Les quatre hommes se tenaient debout derrière leurs épouses, toutes habillées avec des robes fluides et simples, ceintes sous la poitrine. Joseph Morec, en haut à gauche, était un petit monsieur, un peu rondouillet, les yeux clairs. Assise sur une chaise devant lui, sa femme Ismérie arborait une coiffure de l'époque. Sa chevelure dorée était séparée en deux par une raie centrale et retombaient sur ses tempes en boucles anglaises. A côté d'eux se tenait Antoine de Nehmours, brun avec des rouflaquettes, grand et maigre. Ensuite venaient ses parents. Son père, Alexandre de Marcy, brun et mince, portait un habit militaire. Sa mère, la plus belle, souriait légèrement. Elle avait de grands yeux noirs dans lequel le peintre avait réussi à retranscrire toute la joie de vivre de la jeune femme. Un fin bandeau doré décorait ses cheveux sombres. Enfin, tout à droite, se trouvait le couple Auboiroux. Etienne Auboiroux, également en uniforme, avait eu à l'époque des cheveux châtains que Pierre et Elisa ne lui connaissaient pas. Il arborait fièrement une grande moustache rehaussée aux extrémités. Enfin, Guenièvre Auboiroux était assise devant lui, avec cet air doux qui ne l'avait jamais quitté.

Les aurevoirs furent difficile, surtout entre Pierre et Elisa qui se quittaient pour la première fois. Ils se jurèrent de s'écrire tous les jours. Il lui fit également promettre de ne prendre aucun risque et de l'appeler au besoin. Elle le rassura et monta dans la voiture du détective qui commençait à témoigner de son impatience. A peine fut-elle installée qu'il lança les chevaux. Elle tenta de regarder le plus longtemps possible son frère, puis sa maison, et bientôt elle ne vit plus rien. Alors elle s'assit confortablement à côté du détective.

La colère qu'elle avait ressentie contre lui au début avait presque disparu et avait laissé place à un sentiment d'indifférence. Elle profita du trajet pour observer discrètement cet étrange détective. Il avait les cheveux noirs et bouclés en bataille, les joues creuses, le nez fin, les yeux bleus, le regard fixe. Il ne souriait pas, mais n'avait pas l'air triste. Seulement sérieux. Au bout d'un moment, il se retourna vers elle.

—J'ai retrouvé l'adresse des Morec, mais pas de votre mère, l'informa-t-il. Avez-vous un angle d'attaque ?

—Comment cela ?

—Vous ne comptez pas arriver chez eux en disant « Bonjour, je suis Elisa De Marcy, je voulais savoir où est ma mère et si vous avez tué mon père ! ».

Il avait dit cela avec de grands gestes et des grimaces exagérées, ce qui fit sourire Elisa. Elle avait un peu réfléchi à cette question mais n'avait pas d'idée précise sur la manière d'aborder l'enquête.

—J'avoue ne pas avoir vraiment d'idée. Peut-être me faire passer pour quelqu'un d'autre.

—J'y ai réfléchi.

Elisa eut un rictus. Le contraire l'aurait étonnée.

—Je vous propose d'y aller incognito, et d'en apprendre plus sur eux avant tout, poursuivit Gustave Poirier.

La seule pensée d'une fausse identité fit frémir d'excitation le jeune Elisa. Elle donna immédiatement son accord au détective.

—Avez-vous des informations sur eux qui pourraient nous permettre de choisir le personnage que je devrai incarner ?

—M. Morec est le directeur d'une grande entreprise. Il a beaucoup d'argent. Nous nous en servirons pour l'approcher, commença-t-il.

Elisa hocha la tête. L'idée était bonne. Elle pourrait se faire passer pour une femme très riche, se faire inviter à dîner, devenir une amie à eux, et ainsi mener son enquête.

—Vous ne pouvez pas vous présenter seule à eux, ce serait inconvenant de la part d'une jeune fille.

Cela contrariait ses plans, elle plissa les sourcils pour réfléchir à une solution.

—Voilà mon idée, continua le détective, je serai un jeune héritier voulant investir ma fortune dans son entreprise. Ne vous inquiétez pas pour l'argent.

Le détective était-il riche ? Elle n'osa pas poser la question.

—Je ne veux surtout pas vous attirer d'ennuis...

—Ne vous en faites pas, je sais comment faire pour me faire passer pour riche sans même un sou en poche. De toute façon, vous-même êtes très riche.

—Comment cela ?

—Vous avez hérité d'une grande partie des biens de votre père à sa mort. C'est pour cela que sa maison n'est pas habitée, elle vous appartient. N'ayant pu prouver votre mort, votre mère n'a pas pu en hériter.

Elisa n'en revenait pas. Voilà qu'une fortune lui tombait du ciel. Le détective semblait en savoir plus long sur l'enquête qu'il ne le laissait présager. Un soupçon vint obscurcir son front. Et s'il était impliqué de quelque manière que ce soit ? Cela expliquerait son intérêt pour cette vieille affaire.

—Vous avez mené votre enquête à ce que je vois.

—C'est naturel chez moi, répondit-il sans donner plus de détails.

Elisa n'en fut cependant pas surprise. Elle avait cru remarquer que Gustave Poirier était assez avare en terme de paroles et se contentait du nécessaire.

—Autrement, pour en revenir à notre plan d'attaque, poursuivit-il, je me ferai connaître auprès de M. Morec, il voudra m'inviter à dîner, et là je vous ferai faire la connaissance de sa femme dont vous deviendrez la confidente.

—Et quel personnage devrai-je incarner ?

—Vous serez ma femme.

Surprise, Elisa manqua de s'étouffer. Elle devint rouge comme une pivoine. Il avait déclaré ça sur un ton complètement égal. C'était ce qu'elle considérait comme la demande la plus indécente qu'on ne lui ait jamais fait. Mais d'un autre côté, cela semblait être l'option la plus simple pour approcher les Morec. Elle allait devoir se préparer à jouer la femme mariée. Elle, la femme du détective ! Elle frissonna en imaginant cet étrange monsieur en ménage. Cela lui paraissait définitivement ridicule.

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant