Chapitre 4

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Pierre la coupa dans ses réflexions morbides.

—Quelqu'un a-t-il été arrêté pour l'assassinat ?

—Je ne sais pas, je ne savais même pas qu'il y en avait eu un. C'est étrange que je n'en ai pas entendu parler, répondit Gustave Poirier, normalement l'avis de décès aurait dû être agrafé avec l'avis de recherche...

Tout le monde se tut, réfléchissant à ce qui venait d'être dit, à l'identité du coupable, à comment la vie aurait pu être autrement, et à la raison de la mise sous silence du meurtre. Les minutes s'égrenaient. Elisa ne parvenait même plus à penser, elle ne voulait plus. Elle gardait les poings serrés pour ne pas se jeter sur le détective. Elle voulait le faire payer. Mais elle savait que cela ne mènerait à rien. Elle contracta encore ses poings et se mordit la lèvre. Elle garda les yeux fixés sur un coin du tapis. Elle n'avait jamais remarqué cet accroc ni que le fil rouge était plus abîmé que le vert. Neuf heures sonnèrent. Le détective se leva.

—Bon, je vais vous laisser, j'ai du travail, et ce soir vous ne me serez plus d'aucune utilité pour avancer mon enquête.

Personne ne releva son manque de tact. Cela faisait longtemps que les esprits n'étaient plus là.

Il laissa sa carte de visite sur un coin de la table, et M. Auboiroux le raccompagna. Elisa sorti mécaniquement de la pièce en trainant des pieds. Elle longea les murs, la tête basse, l'air absent. Telle une ombre, elle se glissa jusqu'au jardin. Tout ce qu'elle voyait lui semblait tout à coup à la fois familier et distant. Elle ne savait plus qui elle était. Mademoiselle Auboiroux, comme elle l'avait cru jusqu'à cette après-midi ? Mademoiselle De Marcy ? Ceux qu'elle pensait être de son sang ne l'était pas. Elle se pensait entourée d'une famille aimante alors qu'elle était orpheline. Elle étouffa un sanglot de rage en décapitant un tournesol. Elle n'était pas celle qu'elle avait toujours cru être. Elle se sentait dépossédée, trahie par elle-même. Elle ne se sentait plus personne. Elle s'installa sur une grosse pierre blanche, sous le saule pleureur, face à l'étang. Elle venait là d'habitude, quand elle se sentait triste. Elle replia ses jambes contre elle, le menton sur les genoux. Le reflet de la lune sur la surface calme de l'eau l'apaisa. Elle put reprendre sa respiration entre deux sanglots. Une ombre familière apparu devant elle. Pierre s'assit à son côté.

—Tu es triste ? lui demanda-t-il.

Elle ne répondit pas. Elle savait qu'il connaissait la réponse. Ils avaient été élevés comme des jumeaux et elle le considérait comme tel. Elle ne parvenait pas à réaliser que ce lien n'avait rien de sanguin, rien de réel.

—Dis-toi que tu es deux fois plus aimée, parce que tu as deux fois plus de parents, dit-il en appuyant sa tête sur l'épaule de la jeune fille.

Elle ne le repoussa pas. Il était potentiellement le seul à avoir été laissé dans l'ignorance avec elle.

—Tu oublies qu'ils sont morts.

—Cela n'empêche rien. Je suis sûr que là où ils sont, ils t'aiment, dit-il doucement.

La naïveté forcée de Pierre fit sourire Elisa qui oublia un instant de retenir ses larmes. Un torrent de sanglots s'échappa alors de ses yeux et coula silencieusement sur ses joues.

Pierre la laissa pleurer. Elle en avait besoin. Il se contenta de passer sa main dans le dos de la jeune fille et de la serrer tendrement contre lui. Les larmes lui montaient également aux yeux, mais il ne voulait pas qu'elle s'en aperçoive. Il se devait d'être réconfortant pour elle, d'être fort, son pilier. Progressivement, ils relevèrent la tête vers les étoiles. Ils restèrent ainsi, immobiles, à fixer le ciel, tandis que les pleurs d'Elisa diminuaient petit à petit.

—Tu étais au courant ? hoqueta-t-elle finalement.

—Non, mais ça ne change rien. Tu seras toujours ma sœur jumelle préférée.

Elle lui sourit. Elle avait besoin de cette mièvre tendresse. De sentir la chaleur réconfortante de celui qui resterait son frère à jamais.

—Merci Pierrot, tu resteras mon jumeau aussi, quoi qu'il arrive.

Ils se resserrèrent l'un contre l'autre, tous les deux ébranlés par cette nouvelle qui venait de perturber le cours de leur vie. Elle posa sa tête contre lui, et ils admirèrent la sombre voute étoilée au-dessus de leurs têtes. Par chance, le temps était clair et dégagé. La lune, presque pleine, les éclairait de toute sa pâle lumière. Ils se laissèrent emporter par la clarté du doux ruban que formait la voie Lactée. L'astre de la nuit continua sa course tandis que les étoiles ne cessaient de briller. Bientôt, les paupières des deux jeunes gens commencèrent à se fermer doucement, sans même qu'ils s'en rendent compte. Un frisson d'Elisa les fit revenir à eux. Ils décidèrent de rentrer silencieusement. Etienne et Genièvre Auboiroux les attendaient dans le petit salon. Ils regardèrent Elisa, terriblement gênés, ne sachant comment aborder le sujet.

Ils échangèrent un long regard, n'osant prendre la parole en premier. La jeune fille inspira profondément et alla les embrasser pour leur souhaiter une bonne nuit.

—Faisons comme si rien n'avait changé, déclara-t-elle, je ne veux plus y penser, plus maintenant en tout cas. J'ai besoin de temps je crois. Je voudrais seulement aller voir la tombe de mes parents.

Genièvre Auboiroux prit Elisa dans ses bras et l'embrassa tendrement sur la joue.

—Nous sommes désolés ma chérie. Nous allons organiser ce voyage. Tu es une jeune fille courageuse. Surtout n'oublies jamais que nous serons toujours là pour toi, comme pour ton frère.

Etienne Auboiroux acquiesça les dires de sa femme. Il souhaita une bonne nuit à ses deux enfants qui montèrent se coucher.

Même lorsque la lampe fut éteinte, l'esprit d'Elisa resta éveillé et repassa inlassablement les éléments de l'après-midi des heures durant, avant de se laisser confier aux soins de Morphée.

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant