Marguerite sortit de la pièce. Elisa vit les meubles tanguer autour d'elle, elle se sentait perdre pied. Elle s'écroula sur un fauteuil. Tout s'effondrait. Le détective avait-il dit vrai ? Avait-elle été trompée depuis si longtemps ? Est-ce que celle qui s'occupait d'elle depuis sa naissance l'avait en fait arrachée à ses véritables parents ? M. et Mme Auboiroux lui auraient menti depuis tout ce temps ? Qui étaient-ils ? Qui était-elle ? Et Pierre ? Etait-il dans la confidence ?
–Ne vous gênez pas pour moi, je comprends votre désarroi, commença le détective, vous avez été trahie par des gens qui disent vous aimer, c'est très dur à supporter.
Elisa lui jeta un regard assassin. Les bonnes manières n'étaient plus que le cadet de ses soucis.
–Je ne veux plus vous entendre ! lui hurla-t-elle, incapable de se contrôler.
Sa vue se brouilla. Elle n'avait rien à quoi se raccrocher. Elle ravala un sanglot.
–Oui, bien sûr, vous êtes blessée dans votre égo, et vous l'exprimez ainsi, c'est tout à fait naturel, continua Gustave Poirier comme s'il récitait un texte.
Il l'observait comme un objet d'étude, assis sur le fauteuil en face du sien, les doigts croisés. Il commenta la moindre de ses réactions comme étant logique et attendue compte tenu des circonstances.
Elisa aurait voulu se lever pour le gifler et le faire taire mais elle n'en avait même plus la force. Si seulement il n'était jamais entré dans cette demeure ! Elle le haïssait plus que tout au monde. Il avait mis fin à son bonheur.
Au bout de quelques minutes, Monsieur et Madame Auboiroux firent irruption dans le salon, suivis de Marguerite. A peine entré dans la pièce, M. Auboiroux se rua sur le détective qui venait de se lever pour le saluer.
–Pour qui travaillez-vous ? demanda-t-il sèchement en le menaçant de son index.
–Je suis à mon compte, Monsieur. Je ne travaille pour personne. Mais bonjour, je suis ench...
–Pourquoi vous intéressez-vous à cette affaire ?
–Je ré-ouvre les anciennes enquêtes non résolues.
–Et vous pensez réussir à les résoudre dix-huit ans plus tard ? s'exaspéra-t-il.
–Oui Monsieur, je l'espère.
Il y eut un moment de silence. Elisa scruta le visage de ses parents, de Marguerite et du détective. A priori, tous savaient une chose importante sur elle, qu'elle ignorait. Elle refusait de penser que ses parents l'aient enlevée à sa véritable famille. Il devait forcément y avoir une autre explication. M. Auboiroux recula d'un pas, il ne servait plus à rien d'oppresser le détective. Il prit une longue inspiration, et reprit d'une voix plus calme.
–Vous faites fausse piste Monsieur, nous n'avons pas enlevé Elisa, annonça-t-il, mais maintenant, nous lui devons des explications. Si vous voulez bien rester pour connaitre toute la vérité.
Il baissa la tête et regarda la jeune fille, l'air désolé.
–Père... sanglota Elisa, ce n'est pas vrai !
–Je suis désolé, nous aurions dû t'en parler depuis longtemps...Marguerite, allez chercher Pierre et Domingue. Je veux que tout le monde soit là.
Marguerite s'éclipsa rapidement et M. Auboiroux invita Gustave Poirier à s'asseoir. Celui-ci s'installa en face d'Elisa. Il se pencha vers elle.
–Vous me pardonnerez un jour.
Elle souffla d'un air dédaigneux. Elle ne pensait pas pouvoir y parvenir, pour qui se prenait-il ? Elle ne savait plus quoi penser de personne. Ses parents n'étaient pas les siens, son frère également ! Pourquoi l'avait-on enlevé à ses parents ? Où étaient-ils ? Qui étaient-ils ?
Elle remarqua alors le regard du détective. Il lui semblait froid, tranchant, insistant, emplis d'une pitié cynique. Un frisson lui parcouru l'échine. Cet homme lui était absolument antipathique. Il venait de détruire sa vie avec un calme olympien. Elle le haïssait.
Enfin, Marguerite revint avec Pierre et Domingue, leur second domestique. Chacun prit place et Monsieur Auboiroux prit la parole.
–Que savez-vous sur l'affaire ? demanda-t-il au détective.
–Pas grand-chose, je dois l'avouer. J'ai seulement retrouvé un morceau de papier mentionnant la disparition de la fille de la famille De Marcy, et de sa nourrice. Or, la petite ne pouvant pas se déplacer par ses propres moyens, j'ai suivis la trace de la nourrice. En fouillant leur maison, j'ai retrouvé une correspondance romantique entre elle et votre domestique Domingue. La probabilité qu'elle le rejoigne après une fuite était élevée. J'en ai donc déduit qu'elle avait volé l'enfant et qu'elle était venue rejoindre votre domestique.
Quelque chose gronda dans le cœur d'Elisa. Il se permettait de venir mettre sa vie en l'air en se basant sur si peu d'éléments ! Elle hésita à quitter la pièce sur le champ, mais ses muscles refusèrent de lui obéir.
–Pourquoi aurait-elle fait cela ? demanda Mme Auboiroux étonnée par l'hypothèse du détective.
–Je l'ignore encore. A vrai dire, je pensais qu'elle aurait présenté Melle de Marcy comme sa fille. Je ne me doutais pas que vous l'aviez adopté. Cela modifie donc mes calculs... marmonna-t-il en se passant une main sous le menton.
–C'est là tout ce que vous savez ? Repris M. Auboiroux, un peu déçu.
–Oui, malheureusement. Mais quand j'ai su que leur fille s'appelait Elisa et qu'une autre vivait sous votre toit, j'ai pensé que ce n'était pas une coïncidence.
–Où habitent-ils ? demanda Elisa.
–Je l'ignore, leur maison était vide, ils ont dû déménager. L'avis de recherche date de 1815.
–Vous ne connaissez donc qu'une infime partie de l'histoire...Mais comment nous avez-vous retrouvés ?
–Dans une lettre, vous faisiez allusion à une vieille demeure bretonne dans laquelle vous prévoyiez de les inviter. Vous leur aviez précisé de ne révéler l'adresse à personne car il s'agissait de votre lieu secret, loin des visites officielles et des obligations.
M. Auboiroux déclara alors qu'il allait tout raconter. Elisa essuya ses larmes d'un revers de manche. Mme Auboiroux avait voulu passer un bras réconfortant autour de ses épaules, mais la jeune fille s'en était dégagée. Elle ne voulait plus de contact physique avec eux, plus maintenant, pas encore.
Marguerite apporta des biscuits et des boissons fraîches mais personne n'eut le cœur d'en prendre. M. Auboiroux commença son récit.
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Compagnons et trahisons
Historical FictionNous sommes en 1833. La jeune Elisa reçoit une terrible nouvelle qui va bouleverser sa vie: elle n'est pas celle qu'elle croit être. Ses parents ont été assassinés pour un mystérieux mobile. La jeune femme va se lancer dans une enquête pleine de reb...