Chapitre 6

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 —Mais un médecin n'est-il pas venu voir déterminer les circonstances exactes de la mort ? s'enquit Guenièvre.

—Elle n'en a pas voulu. L'était mort de toute façon, que voulez-vous faire de plus ? Ça a été très dur pour elle. Heureusement que son ami était là pour l'aider. J'espère qu'ils vivent heureux maintenant.

Elisa frissonna. Elle ne s'était pas attendue à cette révélation. D'une part elle n'avait pas fait venir de médecin, et d'autre part elle avait épousé l'un des suspects. Cela la rendait terriblement mal à l'aise de savoir que sa mère s'était remariée. Une idée la glaça d'effroi. L'assassin, qu'il eut été M. Morec ou M. de Nehmours, avait forcément été présent le jour de l'enterrement. Elle repensa subitement aux rumeurs qui tenaient sa mère pour responsable, cela expliquerait bien des choses... Non, elle ne devait pas penser à ça. Elle chassa cette hypothèse de son esprit.

—Et où habitent-ils maintenant ? demanda-t-elle.

—A Paris. Ils y ont déménagé peu de temps après leur mariage, peut-être même le lendemain, j'me souviens plus.

—M. et Mme Morec, sont-ils toujours à Castans ? continua Mme Auboiroux.

—Non, ils ont rejoint la capitale en même temps que M. et Mme de Nehmours, ou anciennement Mme De Marcy, comme vous préférez.

Ils se turent et finirent leur café. La vieille femme meubla en relatant les dernières nouvelles du village. Elle parla du fait que l'on y trouvait plus de travail et que les jeunes partaient pour les grandes villes, ce qui la fit revenir sur les couples Morec et de Nehmours.

—Z'auriez dû voir comme ils étaient amis tous les quatre. Leurs relations sont restées aussi bonnes qu'avant. C'est beau à voir les amitiés qui durent comme ça, même à travers les épreuves. C'est tellement dommage que vous soyez partis si loin, vous ratiez quelque chose, c'est moi qui vous l'dit ! Surtout en emportant la petite ! Madame de Nehmours s'en est fait un sang d'encre. Mais bon, c'qui est fait est fait, n'est-ce pas ? Et pis je suis sûre vous aviez une bonne raison.

La famille Auboiroux acquiesça par politesse, ne sachant comment contredire cette femme si sûre d'elle.

Enfin, ils se levèrent, remercièrent leur hôte, et sortirent. Elisa réfléchissait aux derniers éléments qu'elle venait d'entendre. Elle décida de séparer les faits avérés des rumeurs, ou de ses espérances. Sa mère vivait encore et s'était remariée. Mais quelque chose lui échappait. Son père n'était pas mort naturellement, elle n'en doutait pas, mais sa mère était toujours en contact avec l'assassin. Pourquoi ne l'avait-elle pas dénoncé ? Pourquoi avait-elle refusé le médecin ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête et demeuraient sans réponses. Lorsqu'ils retournèrent dans la diligence, elle en fit part à sa famille.

—Je ne vois pas ta mère tuer son mari, c'est impossible, la rassura madame Auboiroux. En plus nous avons le témoignage de Marguerite.

—Peut-être était-ce une mise en scène...hasarda Pierre.

Ses parents se retournèrent brusquement vers lui, le regard furieux.

—Ne redit plus jamais ça ! le menaça son père.

Pierre sentit qu'il ne devait pas insister. Il se recula doucement, s'appuya contre son dossier, et laissa son regard vagabonder sur le paysage. Il trouvait simplement cela dommage de ne pas explorer toutes les pistes possibles. Cependant il pouvait les comprendre. Il n'avait jamais connu ces personnes et n'avait, contrairement à Elisa, aucun lien avec eux. Cette histoire l'atteignait beaucoup moins. Par conséquent, c'était à lui de garder son calme et de faire bonne figure.

—Et pourquoi ne pas avoir tué ma mère ? reprit Elisa.

M. Auboiroux mit du temps avant de répondre :

—Sans doute parce qu'elle n'a pas combattu, et que dans sa folie le meurtrier a su faire la part des choses...

—Mais pourquoi eux et pas vous dans ce cas ?

Etienne Auboiroux haussa les épaules.

—Je n'en ai aucune idée, le hasard sans doute, ou peut-être que l'assassinat n'était pas politique, mais seulement sentimental, si je puis dire.

—Vous pensez que l'assassin pourrait-être M. de Nehmours et qu'il aurait tué mon père pour épouser ma mère ?

—Peut-être.

—Après, nous sommes peut-être trop rapides, intervint Guenièvre Auboiroux, Antoine, ou M. de Nehmours, si tu préfères, n'aurait jamais obtenu l'amour, ni même l'amitié de ta mère en ayant tué ton père de façon aussi violente. S'il avait voulu épousé ta mère, il aurait commis son crime de façon plus discrète.

—Mais Antoine n'était pas très futé Guenièvre, je le vois mal préparer un meurtre avec minutie. Il est plus du genre à foncer tête baissée.

—Il se peut aussi que l'assassin soit Joseph pour d'autres raisons, peut-être politiques, et qu'Antoine ait seulement aidé ta mère, comme le disait cette dame. Et peut-être Joseph les a-t-il suivis à Paris pour garder une certaine pression sur elle et la convaincre de ne pas tout révéler.

Elisa réfléchit un instant. Les arguments de Mme Auboiroux tenaient la route.

—Mais quel moyen de pression pouvait-il avoir ?

—Toi, peut-être. Elle se taisait, et tu avais la vie sauve.

—Mais ils ne savaient pas où je me trouvais, objecta Elisa.

Toutes leurs hypothèses débouchaient sur une impasse. Ils arrêtèrent d'en parler, chacun imaginant de son côté un filet d'hypothèses qui se recoupaient et se contredisaient toutes. Peu avant d'arriver chez eux, Elisa décréta qu'elle irait elle-même à Paris et qu'elle résoudrait l'enquête.

Ses parents adoptifs n'eurent pas l'air très étonnés mais tentèrent néanmoins de l'en dissuader.

—Si l'assassin te retrouve, il y a de grandes chances pour qu'il essaye de te tuer. Ce n'est pas à une jeune fille comme toi de t'occuper de ça, la sermonna M. Auboiroux.

—Et puis, de toutes façon, seule à Paris, ce n'est pas prudent ! renchérit sa femme.

—Je peux l'accompagner, proposa Pierre en souriant à la jeune fille.

Les yeux d'Elisa s'écarquillèrent. L'idée lui convenait parfaitement.

—Non, nous avons besoin de toi chez nous.

Le ton de M. Auboiroux était sans appel. Pierre se renfrogna.

—J'ai jamais eu mon mot à dire dans cette affaire de toute façon, souffla-t-il.

—Suffit Pierre ! Ne commence pas à faire des caprices d'enfant !

Elisa n'osa pas la défendre, de peur d'envenimer la situation. Il restait une option beaucoup moins plaisante.

—J'ai gardé la carte du détective. Peut-être pourrait-il m'aider, avança-t-elle à contrecœur.

Pierre lui lança un regard froid et chargé de reproches tandis que ses parents trouvaient l'idée à leur goût. Elle comprenait qu'il se sente trahi, mais elle avait par-dessus tout besoin de réponses. Elle avait une chance de retrouver sa mère et ne voulait pas la manquer. Elle savait bien que Pierre se sentait mis à l'écart depuis le début de l'affaire, mais elle ne voyait pas comment faire changer les choses. Son père avait été très clair et elle savait que son avis ne changerait pas.

Compagnons et trahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant