Le voyage fut très vite organisé. Deux mois plus tard, la famille Auboiroux arrivait à Castans. La diligence les déposa dans le bourg, devant un vieux puit. Ce n'était pas une très grande ville mais elle avait un certain charme. Etienne et Genièvre Auboiroux n'eurent aucun mal à s'y retrouver. Les choses n'avaient que très peu changé. M. Auboiroux montra à Pierre et Elisa leur ancienne demeure. Des roses décoraient l'entrée et des géraniums fleurissaient les fenêtres. Une vieille femme écarta les rideaux, se demandant ce que ces étrangers pouvaient trouver à sa maison.
Un peu plus loin ils trouvèrent l'ancienne maison des de Marcy. Elisa s'arrêta un instant pour la contempler. On pouvait entrer dans la cour intérieure par une grande arche en pierre, puis un vieil escalier en pierre permettait d'accéder directement aux étages supérieurs. Contrairement à l'ancienne maison des Auboiroux, celle-ci semblait abandonnée. Certaines tuiles avaient été enlevées et des carreaux étaient brisés. La végétation avait pris possession des lieux. De hautes herbes leur interdisaient l'accès à la première cour. Ils se contentèrent donc de l'observer de l'extérieur pendant quelques minutes. Elisa s'imagina courir en riant sur ce balcon en bois et dévaler les escaliers quatre à quatre. Ses parents auraient été là, prenant un apéritif avec Etienne et Genièvre Auboiroux. Elle soupira. La vie en avait décidé autrement.
Ils continuèrent leur route et arrivèrent au cimetière. Ils se séparèrent en silence pour trouver la tombe des parents d'Elisa. Ils marchèrent sans bruit, écrasant les feuilles mortes qui gisaient entre les tombes. Ce fut Pierre qui appela les autres. Ils se regroupèrent donc dans un coin du cimetière, sur une tombe noire et recouverte de mousses et de chiendent. On pouvait y lire « ci-gît Alexandre de Marcy 1786-1815. » Ils s'y recueillirent quelques instants. Pierre et son père retirèrent rapidement la végétation, et les femmes déposèrent des bouquets de fleurs qu'elles avaient apporté à cet effet. M. Auboiroux commençait à s'éloigner du groupe, l'air soucieux. Elisa brisa finalement le silence.
—Ma mère n'est pas enterrée avec lui ?
—C'était justement ce que j'étais en train de me demander, avoua Etienne Auboiroux.
Les autres trouvèrent également cela surprenant. Ils se mirent à la recherche de la seconde tombe. Comme ils passaient plusieurs fois chaque rangée en revue, sans trouver celle de Emma de Marcy, Elisa décida finalement d'accoster une vieille femme, toute voûtée, qui s'apprêtait à sortir du cimetière.
— Bonjour Madame, excusez-moi...
La vieille femme s'arrêta et la salua d'un signe de tête.
—Je cherche la tombe de Mme Emma de Marcy, sauriez-vous où elle se trouve ?
—Pourquoi vouloir enterrer cette pauvre femme ?
Le cœur d'Elisa fit un bond dans sa poitrine. Elle manqua de défaillir. Le souffle lui manquait alors Pierre posa la question à sa place.
—Comment cela ? Vous voulez dire qu'elle est toujours en vie ?
—Vous la connaissiez ? demanda la vielle femme sceptique.
—Je suis sa fille, affirma Elisa.
La vieille femme redressa son visage ridé, et fixa Elisa de ses petits yeux gris.
—Mmm, les yeux de son père, le visage de sa mère... chuchota-t-elle. Mais bon Dieu, d'où sort-elle ? marmonna-t-elle pour elle-même, on vous a tant cherché ! Je ne me souviens plus de votre prénom jeune fille...
—Elisa. Vous les connaissez ? demanda-t-elle pleine d'espoir.
—J'étais leur voisine. Enfin, avant le tragique accident qui arriva à Monsieur votre père.
Le reste de la famille Auboiroux les avait rejoints. Ils saluèrent rapidement la vieille dame toute de noir habillée.
—Savez-vous où se trouve ma mère ? l'interrogea Elisa.
—Venez plutôt chez moi prendre un café, je vous parlerai de tout ça. Oh Seigneur, quel grand jour ! V'la la p'tite qu'est revenue ! Après toutes ces années... Je croyais que vous aviez été enlevée, je ne pensais pas vous revoir vivante un jour.
-C'est assez compliqué...
Ils suivirent la vieille femme à petits pas, jusqu'à une toute petite habitation, mitoyenne de celle des De Marcy. Ils ne l'avaient même pas remarqué en passant devant. Ils entrèrent par une vieille porte en bois. L'intérieur semblait très rustique. Il se composait d'une unique pièce avec le sol en terre battue, une table au centre, et le lit dans un coin. La vieille femme les invita à s'asseoir. Pendant qu'elle préparait le café, et quelques biscuits, elle leur demanda ce qui les emmenait subitement. Mme Auboiroux lui expliqua qu'ils venaient d'avouer à Elisa sa véritable ascendance. La petite vieille s'attabla, et regardant Elisa dans les yeux, elle lui déclara :
—Tes parents étaient de très bonnes personnes ma ptite, vous pouvez être fière d'être leur fille.
Puis, tout en servant le café dans les tasses, elle se mit à raconter.
-C'était y'a quelques années. Une quinzaine, fin vous devez mieux connaitre les dates que moi. Un matin, on a appris que M. De Marcy venait de mourir d'une crise cardiaque, ou de quelque chose comme ça. On était vraiment tristes parce qu'il était vraiment gentil. En tous cas, pour moi c'était un très bon voisin. Certains disent que c'est Madame qui l'a assassiné, mais je n'en crois pas un mot. La pauvre femme était inconsolable. En plus, le bruit courait que son esclave avait enlevé sa fille unique la même nuit. Bon, même si, de ce que vous m'dites, c'était pas vraiment ça. Toujours est-il que ça a été un véritable cauchemar. M. De Marcy a été enterré quelques jours plus tard. Je croyais que Madame allait mourir de chagrin dans l'église. Heureusement, ses amis étaient là, le couple Morec, mais surtout M. De Nehmours, qui a été très présent pour elle, vous devez vous souvenir d'eux... D'ailleurs, M. de Nehmours l'a épousé peu après.
M. Auboiroux manqua de s'étouffer avec son café.
—Pardon ?
—Oui, il a été très présent pour elle pendant son deuil, il l'a aidée à surmonter son chagrin. Un saint homme je vous dis. Il l'a épaulée jours et nuits, il ne la quittait plus. Que son mari parte comme ça, au milieu de la nuit, ça a failli la tuer. Les mauvaises langues qui disent qu'elle l'a tué, ah ! Vraiment je ne pouvais pas les entendre. Le cœur, c'est fragile vous savez...
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Compagnons et trahisons
Historical FictionNous sommes en 1833. La jeune Elisa reçoit une terrible nouvelle qui va bouleverser sa vie: elle n'est pas celle qu'elle croit être. Ses parents ont été assassinés pour un mystérieux mobile. La jeune femme va se lancer dans une enquête pleine de reb...