Elisa et Gustave échangèrent un regard, sentant que ce que s'apprêtait à dire M. Morec pourrait les intéresser.
—Ah ? s'étonna Elisa, désireuse d'en savoir plus.
—Il a épousé une femme très riche, en 1815, mais il n'a jamais pu toucher l'argent. Ce fut une bien triste histoire.
Elisa devina que cet ami ne pouvait être qu'Antoine de Nehmours. La femme en question était donc sa mère.
—Vous avez dû être vraiment déçu, se força-t-elle à dire pour faire avancer la conversation.
—Oh, cela n'aurait rien changé, il s'est fait assassiner moins d'un an plus tard.
Gustave et Elisa se regardèrent dans les yeux. Ils avaient tous les deux saisi qu'il s'agissait là d'une information capitale. Ils devaient en apprendre plus sans avoir l'air d'y attacher trop d'importance.
—Cela a dû être un sacré choc pour vous ! Le meurtrier a-t-il été retrouvé ? demanda-t-elle.
—Oui, un sacré choc, répéta-t-il en jetant un regard oblique vers sa femme ; mais l'enquête n'a jamais été résolue. Il avait dû traîner dans quelques mauvaises affaires. Vous savez, si vous commencez à vous mêler de certaines affaires qui ne vous regardent pas, on ne peut plus rien pour vous...
Sa dernière phrase tinta comme un avertissement. Elisa ravala sa salive. Une dernière question lui brûlait la langue, elle espérait que ce ne soit pas la question de trop.
—Et l...
—Passons à ce qui nous intéresse, la coupa Gustave ; je peux investir une grosse somme.
Il glissa un discret regard de reproches à Elisa en fronçant un sourcil. Si elle continuait à se montrer aussi curieuse, elle allait finir par éveiller les soupçons.
Les hommes commencèrent à parler affaire et le personnel de maison apporta une viande en sauce. Elisa senti le moment opportun pour se rapprocher de la gente féminine et se tourna vers Marceline. La jeune fille avait presque son âge. Celle-ci se montra très aimable et parvint à la mettre à l'aise en quelques phrases. Mélie, sa sœur cadette se joignit à elles. Les deux sœurs avaient le même caractère enjoué et ouvert. Elisa les apprécia presque immédiatement. Elles parlèrent des activités à faire dans la capitale, de leurs lieux favoris, des endroits à fréquenter absolument. Ismérie se contenta d'abord d'écouter les jeunes filles en pinçant ses lèvres déjà fines. Finalement, elle s'incrusta mielleusement dans la conversation.
—Où étiez-vous avant votre mariage ? voulu-t-elle savoir.
—En province, je n'étais jamais venue ici.
Mélie et Marceline la rassurèrent immédiatement en lui promettant qu'elles la présenteraient à leurs amies.
Elles posèrent ensuite des questions à Elisa qui s'inventait une famille au fur et à mesure de leurs interrogations.
—Je ne suis pas habituée aux grandes maisons vides, conclut-elle après avoir dit qu'elle venait d'une fratrie de huit frères et sœurs.
—Vous pourriez venir la semaine prochaine, s'enthousiasma Mélie.
—Oui, renchérit sa sœur, nous allons à une réception à l'hôtel de ville.
L'idée tenta Elisa. Entre deux indices à propos de l'enquête, ce n'était pas le temps qui manquait. Et puis, c'était une occasion pour se rapprocher des Morec.
—Nous vous présenterons, insistèrent les deux sœurs ; il faut bien vous faire connaître du beau monde parisien.
—Et puis il y aura Mme de Sauvigner, la dame dont nous vous parlions tout à l'heure.
Le cœur d'Elisa fit un saut dans sa poitrine. Comment cela Madame de Sauvigner ? Elle s'était donc remariée ?
—Celle qui avait été mariée à l'associé de votre père ? s'assura-t-elle, tremblante.
Les deux sœurs le lui confirmèrent d'un signe de tête. Le rythme cardiaque d'Elisa s'emballa. Elle avait tant à apprendre sur sa mère ! Madame de Sauvigner! Ce n'était donc plus ni Madame de Marcy, ni Madame de Nehmours... Cela faisait déjà à son troisième mari ! Elisa eut un pincement en pensant à son père. Sa mère semblait remplacer bien vite ses maris. Elle senti le rouge lui monter aux joues mais ses hôtesses ne le remarquèrent pas. Mélie demandait en effet à son aînée de lui resservir du dessert. Marceline, après avoir servi sa sœur en proposa à Elisa qui refusa poliment en balbutiant quelques syllabes indistinctes.
Gustave qui vouait une oreille à la conversation des femmes perçu la gêne d'Elisa. Il décida d'intervenir avant que celle-ci ne soit trahie par son émotion.
—Cette pauvre femme s'est-elle remariée ?
—Oui, peu de temps après la mort de son défunt mari. Voyez, il est décédé en février, et elle s'est remariée en juin, expliqua M. Morec.
—C'est une habituée, lança sa femme en gloussant ; une veuve noire j'appelle ça, moi.
Cette dernière remarque lança un froid dans la conversation. Les filles regardèrent Elisa avec un sourire forcé, habituées aux médisances de leur mère. Un malaise commença à apparaître entre les convives.Heureusement M. Morec proposa d'aller boire un verre au salon. Tout le monde se leva et passa dans la pièce voisine. C'était une grande pièce dont les murs étaient couverts de bibliothèques. Un billard occupait la place centrale.Joseph Morec proposa une partie à Gustave tandis que les quatre femmes prenaient place sur des fauteuils. Elles discutèrent de tout et de rien toute la soirée. Elisa avait vraiment une bonne impression à l'égard de Marceline et Mélie. Son avis sur Ismérie était en revanche beaucoup moins bon. Elle sentait que cette femme critiquait tous ceux qui croisaient sa route. Heureusement, ses deux filles parvenaient à mettre Elisa à l'aise. Lorsque les hommes eurent fini leur partie et discuté un peu, Gustave jugea qu'il était temps de partir. Marceline rappela alors à Elisa l'invitation qui lui avait été faite et celle-ci s'empressa d'en parler à Gustave. Il sourit aux jeunes femmes, disant qu'il n'y voyait aucun inconvénient et qu'il se ferait même une joie d'y accompagner sa femme.
Il fut ainsi convenu que les deux familles se retrouvent à l'hôtel de ville le jeudi suivant.
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Compagnons et trahisons
Historical FictionNous sommes en 1833. La jeune Elisa reçoit une terrible nouvelle qui va bouleverser sa vie: elle n'est pas celle qu'elle croit être. Ses parents ont été assassinés pour un mystérieux mobile. La jeune femme va se lancer dans une enquête pleine de reb...