J'ouvre les yeux. Le soleil qui filtre par la fenêtre caresse mon visage de sa chaleur. Je m'étire puis repousse mes draps et me lève. Il est neuve heure. Chloé est à l'école tandis que Linda est au travail. Cette dernière est pharmacienne au centre-ville. Je file à la salle de bain, prends une douche rapide puis m'installe devant l'ordinateur pour imprimer les adresses trouvées. Une fois terminé, je prends la feuille puis sors de l'appartement pour me rendre au premier établissement indiqué.
Sur le chemin, je passe à l'endroit même où ma fille a été enlevée. La neige a recouvert notre passage depuis bien longtemps mais dans mon esprit rien n'est effacé par le temps. Je m'arrête quelques instants, perdue dans mes pensées qui regorgent d'émotions. Une main se pose sur mon épaule ce qui me fait tressaillir. Lorsque je me retourne, je découvre ma mère. Elle lève le menton, la tête droite, fière de sa propre personne. De sa main gauche, je ne suis pas surprise de trouver une cigarette coincée entre son index et son majeur qu'elle porte à ses lèvres colorées. Je repousse son contact puis lui tourne le dos et continue mon chemin.
- Attends, m'interpelle-t-elle en toussotant, la fumée s'envolant d'entre sa bouche.
Je fais mine de ne pas l'entendre et accélère mon allure.
- Aurore, s'il te plaît ! me supplie-t-elle en me collant de nouveau. Je voulais...
- Tu voulais quoi ? La coupais-je en me retournant brutalement, la colère envahissant de nouveau mes émotions. Tu voulais me rendre ma fille ? Me dire que tu es désolée ? Que tu m'aimes quand même un peu et que tu as décidé de me le prouver ? Criais-je en pleine rue.
Ornella me fixe puis baisse les yeux.
- Je prends ton silence comme une réponse, déclarais-je sèchement avant de tourner les talons.
Je la laisse en plan puis traverse la rue. Mais quelques secondes plus tard, j'entends le bruit de ses pas précipités.
- Aurore ! Je suis désolée ! s'exprime-t-elle en courant dans ma direction. Je t'aime et... Je sais où est Este...
- MAMAN ! m'écriais-je en voyant la voiture la percuter de plein fouet au moment où je me retourne.
Son corps passe au-dessus du véhicule et atterrit lourdement sur le bitume humide. Je me précipite sur la route. J'ai le temps de voir le visage du conducteur qui ne s'arrête pas et qui accélère davantage. J'ai l'impression que mon monde s'écroule une seconde fois, comme si la première n'avait pas suffi. Des passants accourent et m'écartent de force de Ornella pour m'éviter de la voir dans cet état. Mais trop tard je l'ai vue. Son visage ensanglanté. Ses membres formant des angles anormaux. Sa main ne répondant pas au contact. Ses yeux fermés.
Une femme me tient à l'écart de toute cette agitation. Elle supporte mes hurlements, mes cris, mes pleurs, mes coups. Je deviens folle et intenable, complètement hors de contrôle. Mais épuisée, je finis par me laisser tomber à genoux et, comme une bulle se crée autour de moi, coupant le son de ce film d'horreur. Je remarque que des bras me serrent. Lorsque je lève la tête, Linda me murmure :
- Ça va aller Aurore. Ça va aller.
Je vois une ambulance arriver. Puis une deuxième. Des gens en blouse blanche s'approchent de moi. Ils me parlent et me donnent des nouvelles de ma mère mais je ne réponds à personne, comme s'ils avaient coupé le son de ma voix. Ou alors s'est-elle brisée à force de hurler ? Je ne sais plus. Je voudrais me réveiller, avec un nouveau soleil et de nouveaux espoirs. Car les miens ont disparu depuis longtemps. Un médecin prend mon bras gauche et y enfonce une seringue. Que me font-ils ? Ils me droguent ? Mais je n'ai pas le temps de penser d'avantage que très vite, je sombre dans un sommeil qui me soulage immédiatement.
Vous connaissez le rituel. L'électrocardiogramme qui bipe. Le plafond et les draps immaculés. Les chariots qui roulent dans le couloir de l'hôpital.
J'en sors quelques jours plus tard. Les psychologues me lâchent enfin, après s'être assurés que ma santé mentale va mieux. Linda à payer les frais d'hôpitaux et m'emmène chaque jour voire ma mère qui est dans le coma depuis deux mois maintenant. Je continue les recherches de mon côté. Je me rends dans les orphelinats et les foyers et je me renseigne, mais aucune n'a dans son enceinte une petite fille répondant au nom de Estelle Dolorès. Mes journées sont rythmées par les visites d'établissements et par des coups de téléphone qui ne mènent à rien. J'ai l'impression de m'éloigner d'elle, de perdre le fil que je m'étais destiné à suivre pour la retrouver, mais les échecs s'empilent les uns sur les autres et je suis obligée de prendre un autre virage. Quelqu'un frappe à la porte et interrompt mes recherches. Qui cela peut-il être ? J'hésite à ouvrir car Linda n'est pas là. Puis je m'imagine que c'est une bonne nouvelle, peut-être est-ce ma fille qui m'attend de l'autre côté ? Mais au moment où j'ouvre la porte, c'est un autre cauchemar qui commence.
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Estelle Dolorès
Teen FictionJe m'appelle Aurore. J'ai 16 ans et cela fais une année que je vis dans la rue, depuis que j'ai accouché d'Estelle plus précisément. Ma vie est rythmée par les regards froids des inconnus qui nous voient, jusqu'à ce soir de Décembre ou ma fille m'es...