Chapitre 3

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Je ne dis rien sur la route du retour, et Linda ne me pose aucune question et je l'en remercie.

- Il y a de l'arnica dans l'armoire à pharmacie à la salle de bain si tu veux, me dit-elle en brisant le silence.

- Merci, répondis-je simplement.

Elle se gare devant la maternelle puis me laisse seule quelques minutes dans la voiture pendant qu'elle part chercher Chloé. Dans ma tête résonnent les cris de Ornella. Je ressasse en boucle ce qu'elle m'a jeté à la figure. J'abaisse le pare soleil et me sert du miroir pour observer les dégâts causés sur mon visage par la violence de ma mère, complètement bouffée par l'alcool et la clope. Le haut de ma joue gauche est bleui tandis que des griffures sont tracées sur mes bras nus. Je baisse la tête honteuse. Que va dire Chloé lorsqu'elle va me voir dans cet état ? Je me retourne pour regarder à l'arrière de la voiture et trouve un gilet qui doit appartenir à Linda. Je le prends et l'enfile au moment même où les filles approchent du parking. La petite fille m'offre un large sourire lorsqu'elle me voit et bondit dans la voiture pour m'enlacer. Sa bonne humeur emplit aussitôt l'habitacle qui se met en route. Quelques kilomètres défilent par la vitre et nous arrivons devant l'immeuble. L'ascenseur nous monte jusqu'à l'appartement qui se trouve au douzième étage. C'est un grand logement qui nous donne l'une des vues les plus belles de Londres. La nuit est déjà tombée et les guirlandes des fêtes s'illuminent encore dans la grande ville. Je ferme la porte de la salle de bain et ouvre celle de l'armoire à pharmacie. Des dizaines de médicaments et de crèmes en tous genres se présentent à moi. Je me décourage et m'assied sur le bord de la baignoire en soupirant. Linda frappe doucement à la porte puis entre sans rien dire. Elle prend une pommade avec un nom étrange, quelques cotons, quelque chose qui ressemble à du désinfectant, puis s'approche de moi en me souriant affectueusement.

- Ça risque de piquer un peu, c'est de l'alcool... me préviens-t-elle tendrement en aspergeant la boule de coton qu'elle pose sur mes griffures.

Je grimace légèrement, mais ses gestes doux et précautionneux atténuent la douleur.

- Tu veux bien me dire ce qu'il s'est passé Aurore ? Me demande-t-elle sans s'arrêter de me soigner.

Je détourne d'abord la tête dans l'idée de ne rien raconter, mais les larmes se mettent à dévaler mes joues, parlant d'elles même.

- Elle m'a avoué qu'elle ne m'avait jamais désiré, qu'elle avait fait un déni de grossesse et que j'étais la personne qu'elle déteste le plus au monde. Elle m'a dit cela en se jetant sur moi, comme submergée par la colère qu'elle éprouve rien qu'en me voyant. Mais surtout, elle m'a annoncé qu'elle ne sait pas où est ma fille, ajoutais-je en pleurant de plus belle.

Linda laisse ce qu'elle tient dans ses mains puis s'assoit à mes côtés, attendant que je continue.

- Ma mère a toujours été rongée par l'alcool. Je ne sais pas si c'est depuis toujours ou alors depuis que je suis venue au monde gâcher sa vie, comme elle m'a dit. Tu sais, poursuivis-je en tournant mon visage humide vers elle, quand j'étais enfant, elle me frappait puis elle s'excusait quelques heures plus tard. Je mettais ça sur le compte de sa dépendance aux boissons qu'elle consommait ou les conneries qu'elle fumait. Elle ne me montrait pas qu'elle me haïssait... Elle venait me border le soir, me lire des histoires, elle jouait avec moi... Et puis un jour, je me suis rendue compte qu'elle se droguait. Je devais avoir dix ans lorsque j'ai vraiment compris ce qu'elle faisait avec ses seringues cachées dans sa table de nuit. Je l'ai surprise un soir d'orage. J'avais eu si peur des éclairs qui paraissaient traverser les murs et qui semblaient vouloir m'atteindre que je me suis réfugiée dans sa chambre. Mais ce que j'ai vu m'a encore plus effrayé. J'ai cru qu'elle était morte, allongée dans son lit dans une position peu commune pour dormir. Mais elle s'est réveillée puis m'a giflée, complètement inconsciente de ce qu'elle faisait. Elle ne tenait même pas debout et papa n'étais pas là comme d'habitude. Mais une fois qu'elle s'est calmée, j'ai mis la couverture sur elle et ai éteint la lumière, la laissant dans cet état pitoyable. Ce soir-là j'ai compris qu'elle se droguait en plus de l'alcool. Elle a tellement d'argent qu'elle ne sait plus dans quoi le mettre. Quelque part je ne lui en veux pas de m'avoir fait souffrir ainsi durant ces dernières années, mais tout à l'heure, elle n'était ni ivre, ni droguée... Les mots qui sont sortis de sa bouche m'ont fait plus de mal que tous les coups réunis que j'ai pu recevoir. Je l'aimais ma mère mais ça n'a jamais été réciproque et ce dès l'instant où je suis née jusqu'à aujourd'hui, terminais-je en me jetant dans les bras de Linda. Sa main caresse doucement mes cheveux dans un geste réconfortant et rassurant.

- Je suis sûre qu'au fond d'elle, elle ne te déteste pas autant qu'elle ne le prétend. Une mère possède un instinct maternel très puissant et même si cela risque de prendre du temps avec Ornella, elle finira par s'en rendre compte qu'elle tient à toi. Mais elle a aussi besoin d'aide même si elle n'en mérite pas de ta part. Elle ne parviendra pas à s'éclaircir les idées avec tout le poison qui coule dans ses veines. Je ne te demande pas de lui pardonner tous ses faits et gestes, simplement de lui laisser du temps et suffisamment pour qu'elle prenne conscience d'elle-même de ses faux pas qui la conduisent à sa propre perte.

Je hoche la tête puis essuie mes larmes. Linda a su encore une fois trouver les mots justes pour calmer mes peines. Je la remercie puis nous sortons ensemble de la salle de bain. Nous retrouvons Chloé endormie sur le canapé. Je prends le plaid puis le dépose sur elle sans la réveiller. Je me dirige ensuite vers la grande baie vitrée puis contemple la vue qui s'offre à moi. Je m'imagine que chaque lumière est une bougie, que chacune d'elle représente l'espoir, l'espoir de retrouver Estelle.

Estelle DolorèsWhere stories live. Discover now