Un jour où les feuilles desséchées voletaient vers le sol, je me promenais sur les berges de la Seine. J'aimais tant marcher, sans savoir précisément où je m'arrêterais, et observer ces visages inconnus qui défilaient. J'aimais lire leurs émotions, comme s'il s'agissait d'une immense galerie de portrait de nous, les humains. Je m'en imprégnais et imaginais leur vie. C'était une danse émotionnelle : la joie, la fierté, l'amour,la tendresse et tant de chose que nous chérissions.
Mais ce jeune homme recroquevillé à même le sol dans ses vêtements miteux, qui attendait en retrait ne collait pas avec celle-ci. Pourquoi était-il là, dans ce tableau de bonheur ? Il ne me fît pas peur ; seul une question me traversa l'esprit. Mais qu'attendait-il?
Son caddie, précautionneusement placé à côté de lui était chargé de choses et d'autres ; on pourrait penser qu'il contenait toute sa vie.
Comment se faisait-il qu'un caddie tienne compagnie à un homme? Était-ce là une manière d'attirer l'attention sur lui, assis là, avec son caddie et sa solitude pour seuls amis ?
Je me permis d'aller le voir pour lui demander s'il voulait de l'aide. Il me répondît qu'il en avait eu trop dans sa vie, mais que jamais il n'avait accepté d'être un fardeau. Je lui demandai alors si je pouvais m'asseoir à côté de lui, pour lui tenir compagnie.
Je voulais rattraper et améliorer le tableau de bonheur que j'avais découvert.
« Je suis né avec une tare je pense, puisque ma mère est morte en couche et mon père m'a battu pendant ma jeune enfance. Il m'a totalement rejeté, sans autre raison apparente que ma propre existence.
Et voilà qu'après ces treize ans de famille d'accueil, je me retrouve avec ce vieux caddie. Car on m'avait éjecté à ma majorité. »Un drôle de malaise m'envahit alors à ces paroles émouvantes. Je ne savais pas quoi dire, alors à défaut, je me tus. Il continuait alors simplement son récit :
« Je me sentais heureux de ne plus être dans mes familles d'accueil. Je voulais profiter de ma propre vie, vivre par moi-même et ne plus subir les problèmes que provoquaient le manque d'amour des autres. J'avais un bon bagage de qualités pour réussir. Quoique sans mention, j'avais eu un bac. J'étais débrouillard et impatient de voler de mes propres ailes.Tout était tracé pour moi : le bac, un petit boulot de barman, et la liberté. »
Le temps passait vite quand j'écoutais les malheurs de cet homme. Il n'avait pas réussi à tout payer avec son salaire dérisoire.
Expulsé de chez lui. Voilà comment l'on vole la vie d'un jeune.
Quatre ans à vivre dans la rue. Je n'y croyais pas. Comment peut-on subir pareille injustice ?C'est ce qu'on pourrait nommer tomber de haut. La gravité de Newton : je crois que cela s'appelle comme ça. Ça me mît simplement hors de moi. Mais il n'y avait rien à faire, et c'était sûrement le pire.
« Asseyez-vous s'il vous plaît. Si peu de personnes viennent me parler. J'en viens à craindre de ne plus savoir communiquer. »Je crois bien que cet après-midi, je ne suis jamais restée aussi longtemps sur les quais. Nous étions tous les deux assis. Il m'expliquait que lui aussi aimait regarder les passants, mais qu'aucun n'avait le courage de le regarder.
Ce qu'il supportait le moins, c'était la pitié des jeunes femmes, et le rejet des personnes âgées.
Un petit garçon de cinq ans était venu lui dire bonjour. Mais sa maman le rappela trop vite.
« Maxence, tu ne dois pas parler aux clochards, ils ne sont pas gentils. »
Les yeux baissés vers le sol, le jeune homme n'avait rien répondu ; il continuait à jouer avec son petit caillou.Quand je pris congé, il me dit simplement :
« Merci cette journée a été belle grâce à vous. »*
Pendant les jours qui suivirent, je retournai à l'endroit où je l'avais rencontré. Mais il n'y était pas. Alors je m'asseyais, à la place où il était installé. Il était juste sur le quai d'en face. Je l'avais reconnu par son blouson orange.
Le lendemain, je me rendis sur le quai d'en face, au même endroit où je l'avais observé, les jambes étendus sur les pavés froids et sales, ses yeux fixés vers des graffitis amateurs.
Je m'asseyai à ses côtés. Il sursauta, surpris par la compagnie dont il n'avait plus habitude. Passé l'étonnement, les traits de son visage emmitouflé dans son pull se détendirent puis laissèrent esquisser un sourire.
"Est-ce que tu savais qu'il y a un foyer rue Hincmar pour les sans-abris ?
-On a refusé que je viennes parce que j'ai plus de 25 ans et un petit boulot.
-Alors viens chez moi. Il commence à faire froid la nuit.
-Merci, humm, je ne sais même pas ton prénom.
-Jennah, je suis Jennah. De rien ...
-Vincent."
Il en avait fallu si peu pour le rendre heureux.
VOUS LISEZ
Carnet
PoesiaQuand, assis sur un banc, ou peut-être sur la pelouse de ton jardin, tu t'effondres dans la misère de ta vie, écrire tes pensées, te raccrocher à la légèreté des mots devient une question de survie. Voilà ce qu'est ce carnet : une issue de seco...