Cendre

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-CENNNNNNDRE ! Hurla une voix stridente.

Le jeune homme soupira et reposa son éponge dans le seau d'eau sale. Il se leva, épousseta sans conviction son pantalon, constata qu'il n'y avait aucune différence entre avant et après, et se mit en quête de l'origine des beuglements stridents qui se faisaient toujours entendre.

Il s'était toujours demandé comment Anastasie arrivait à tenir une note aussi haut aussi longtemps. Ça tenait du miracle. Un vrai don.

-CENNNENENENENENDREUUUH ! Reprit en cœur une deuxième voix.

Si Javotte s'y mettait aussi, il avait intérêt à se dépêcher.

Il courut, grimpa quatre à quatre les vieux escaliers délabrés du manoir, faillit se ramasser sur la dernière marche, établit de justesse un rétablissement spectaculaire, et atteignit enfin la porte d'où émergeait le double appel. Cendre frotta énergiquement sa figure avec sa manche, dans l'espoir d'en faire disparaître la crasse, mais il ne réussit qu'à étaler un peu plus la suie. Tant pis. De toute façon, il avait l'habitude...

Il poussa le battant.

Javotte et Anastasie se tenaient devant la fenêtre, juste à côté d'une horloge (très précieux vestige du Temps des Splendeurs).

-Trois minutes ! s'exclama la plus grande, qui était aussi la plus outrageusement fardée.

-À peine, geignit l'autre.

-Anastasie, tu me dois ton collier de perles.

-Tu as triché. Tu l'as appelé avant le début du décompte.

-Je n'ai pas besoin de tricher pour te battre, pauvre gourde.

-Tu es incapable de me battre sans tricher, espèce de tache !

-Donne-moi ce collier de perles ! Il est à moi ! cria Javotte en refermant la main sur le collier que sa sœur portait autour du cou.

-Va te faire...

À cet instant, sa sœur tira un grand coup sur le collier, lui coupant le souffle. Folle de rage, Anastasie attrapa à son tour le bijou et tira. Il ne fallut qu'une seconde pour que la chaîne se casse, libérant les perles nacrées, qui se répandirent joyeusement sur le sol.

-Tu as raison, argua Anastasie. Je te le donne.

-Je n'en veux pas ! Râla l'autre. Garde ta saleté de collier.

Cendre baissa la tête, dépité. Ces perles étaient un trésor inestimable, une des dernières reliques du Temps des Splendeurs.

Mal lui en prit. Son mouvement attira sur lui l'attention de ses sœurs.

-Qu'est-ce que tu fais encore là ? Cracha Javotte. Tu n'as rien de mieux à faire que de tirer au flanc ?

-Jamais vu quelqu'un d'aussi paresseux, repris Anastasie, la voix dégoulinante de mépris et de condescendante. Voilà comment il remercie mère de lui avoir donné le gîte et le couvert. Je ne sais où elle trouve la générosité de ne pas le vendre.

-Tu as de la chance, petite crasseux, jeta Javotte. Maintenant rends-toi utile, c'est la moindre des choses, et retourne nettoyer l'entrée. Parce que je suppose que ce n'est toujours pas finit, n'est-ce pas ?

Cendre inclina la tête en signe de soumission et sortit de la pièce à reculons. Il n'osait pas tourner le dos aux deux mégères. Pas depuis qu'elles l'avaient poussé dans l'escalier alors qu'il avait à peine cinq ans. Il lui en restait un très léger boitement, dont la douleur le lançait les jours de pluie.

Il se remit à genoux sur le sol, reprit son éponge, et frotta. Ça ne servait à rien, bien sûr. Le toit du grand hall s'était écroulé il y avait bien longtemps, garantissant au sol une constante expositions aux forces de la nature. Mais Cendres était habitué aux taches absurdes. D'ailleurs, ça ne le dérangeait pas tant que ça. Ça lui permettait de réfléchir.

Cette nuit, il irait ramasser les perles. Que ferait-il, avec ? Toutes les possibilités qui s'offraient à lui lui firent se mordre les lèvres d'enthousiasme. Il s'appliqua à garder la tête baissée, pour ne pas sembler trop heureux, des fois qu'un membre de sa famille adoptive ne passe dans le coin.

Pourvu que la nuit vienne vite...

Cendre (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant