Zack et Ryen étaient avachis épaule contre épaule dans la chambre royale. Ils avaient passé les deux dernières heures à chercher Cendre, sans succès. Pour se remettre de sa frustration et de son angoisse, Zack composait en marmonnant les paroles d'une nouvelle chanson tandis que Ryen engloutissait méthodiquement la poignée de gâteau qu'il avait subtilisé dans les cuisines.
-RYENNN ! Hurla Kern en débarquant dans la pièce.
Zack sursauta, se cogna la tête, pesta, et Ryen tomba de sa chaise (sans lâcher les gâteaux).
-Mais ça va pas, non ? Râla le musicien avant d'apercevoir l'air de panique qui dansait dans les yeux de la Larthyenne.
-Que s'est-il passé ? s'alarma aussitôt Ryen. Quelqu'un est blessé ?
-Oui ! Suivez-moi ! Vite !
-Kern, attends ! Tenta Zack. Tu n'as pas ta capuche ! Tout le monde peut voir...
Mais elle avait déjà disparu, emportant le médecin dans son sillage. Zack grommela quelque chose qu'il serait fort malpoli de rapporter ici et couru pour les rattraper.
Ils passèrent devant Cendre sans le voir.
Le jeune homme, qui avait passé les deux dernières heures à broyer du noir dans un coin, venait de prendre la décision de venir s'excuser auprès de ses amis et de partir à la recherche d'Alexandre avec eux. Inquiet de voir ses trois compagnons courir comme des dératés à travers le château, il les suivit.
Il se retrouva derrière la porte entrebâillée de la chambre de Javotte.
Kern était assise à côté d'Anastasie, qui fixait le sol d'un air hagard. Elle avait du sang jusqu'au coude.
Javotte était allongée sur le sol. La poignée d'une arme sortait de son abdomen.
-Je ne voulais pas... balbutia Anastasie en regardant Kern. Je te jure que je ne voulais pas...
-Je sais, je sais, dit doucement la jeune fille à la peau bleue en lui caressant les cheveux.
Ryen se pencha sur Javotte.
-Je ne peux plus rien faire pour elle, dit-il.
-Anastasie... lâcha Javotte, chacune de ses paroles libérant un flot de sang. Tu es une... imbécile... Pauvre gourde... Mère avait raison de te... De te...
Cendre allait se manifester lorsque Zack se pencha en avant pour poser sa question :
-C'est vous qui avez tué Élis ?
-Élis... et le roi ! Ricana Javotte en s'étouffant dans son propre sang. Tous creuvés !
Cendre n'en entendit pas plus.
Il n'avait pas besoin d'en entendre plus.
Au-delà de ces paroles, rien n'avait d'importance.
Ses pieds le guidèrent d'eux-mêmes loin de la chambre, loin de ses amis, loin du corps désormais sans vie de Javotte et de tout ce sang qui semblait avoir engloutis le monde.
Son cœur était un trou noir. Un vide qui aspirait tout ce qui se trouvait autour de lui, un gouffre sans fond qui s'agrandissait en grignotant l'intérieur de son corps.
Il s'aperçut qu'il était en haut de la tour en ruine.
Il faisait jour, mais il savait que lorsque le soleil serait couché, les étoiles sembleraient assez près pour être attrapées au creux de la paume... C'était un roi qui le lui avait montré.
Ses yeux étaient secs, grands ouverts, fixés sur un point qui n'existait pas, loin, en dehors du monde.
Il sentait sa peine gonfler lentement, dans le creux de son âme. Il lui laissa tout son temps, pour grossir, grandir, atteindre sa pleine puissance de destruction...
Et lorsqu'il ne put plus la retenir, enfin, il la laissa briser les digues de son regard et noyer le monde dans un océan salé, au goût aussi amer que le remord.
Et là, il comprit. La dernière fois qu'il avait vu Alexandre...
C'était la dernière.
La dernière fois de toute. De toute l'éternité.
Il ne passerait plus la main sur son visage, il ne caresserait plus sa peau, il n'entendrait plus sa voix, il ne murmurerait plus son nom sur ses lèvres, il ne croiserait plus son regard par inadvertance, il ne lui arracherait plus de sourire complice et secret au milieu d'une assemblée, il se glisserait plus ses doigts dans ses cheveux...
Ça et un milliard d'autre choses.
Ça n'existait plus.
Mais c'était impossible. N'est-ce pas ? Ce qu'il ressentait était trop fort, trop puissant pour être voué au vide et à la mort. C'était absurde. Alexandre ne pouvait pas ne plus exister. Cette phrase ne voulait rien dire. Les idées ne s'assemblaient pas entre elle, c'est tout.
Alexandre...
Les images du bal dansèrent dans son esprit. La danse. Ce presque premier baiser brisé par sa fuite. Et puis le reste de leur histoire. La recherche. Les retrouvailles. Le moment où il l'avait reconnu sous son masque de suie. Le château. Leur première nuit. Leurs promesses douces. Les autres nuits. Le départ. La demande. Les lettres...
Et puis plus rien. Rien. RIEN !
JAMAIS ! PLUS JAMAIS RIEN !
Cendre baissa ses yeux sur ses mains, où brillait un anneau transparent.
Et maintenant ? Qu'est-ce qui avait encore la moindre importance comparé à ça, à ce bonheur énorme qu'il venait de perdre ? Était-il condamné à vivre longtemps, dans ce monde vide et sale qui lui avait arraché son amour ? À cet instant, il espéra que non.
Mais avant tout chose, il fallait qu'il détruise cette machine. Et s'il mourait en essayant, ça serait d'une pierre deux coups.
Cendre descendit de la tour, se rendit jusqu'à ce qui fut son atelier, pour le temps de son court séjour au château, et se saisit d'un gros sac de toile plein de poudre. Keith et lui avaient prévus de donner un feu d'artifice aux enfants, chose qui ne s'était pas faite depuis les Splendeurs.
Tant pis pour la beauté gratuite, songea Cendre avec un cynisme triste. Place aux armes de destruction massive.
-J'arrive, saleté de machine, ricana-t-il en sortant de l'atelier.
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Cendre (BxB)
Fiksi PenggemarIl était une fois un pays lointain, un royaume en ruine qu'une guerre interminable n'en finit plus de détruire. Il était une fois un roi au cœur glacé de solitude. Il était une fois un jeune homme traité comme un souillon par sa famille adoptive. Il...