La nuit, enfin.
Cendre ne vivait que pour les moments où le soleil disparaissait, emportant avec lui les brimades, les regards méprisants et les tâches ingrates.
La nuit était le domaine du rêve. L'empire de tous les possibles. C'était l'instant où il cessait d'être un souillon et commençait à exister.
Le jeune homme se glissa dans le petit salon, où avait eu lieu l'affrontement de l'après-midi. À quatre pattes, il ramassa soigneusement toutes les perles qu'il pouvait trouver et les glissa dans la poche intérieure de sa chemise. Il l'avait cousue lui-même, et conçu pour qu'elle soit le plus possible invisible aux regards. Le fait que son seul habit soit une chemise rapiécée de toute part et dix fois trop grande pour lui l'aidait beaucoup.
Son butin empoché, il se rendit dans le grand salon, où se trouvait la cheminée.
Lady Trémaine, sa très charmante tutrice, avait horreur du froid. Elle dépensait ainsi une fortune, tout au long de l'année, pour entretenir dans la cheminée un feu constant, qu'elle n'éteignait que la nuit, pour le rallumer dans sa chambre. Dès sa petite enfance, le garçon avait compris que les cendres chaudes étaient l'endroit le plus confortable pour dormir, lorsqu'on avait pas de lit. Ce qui lui avait valu sa peau noircit par la suie et ce surnom, qui lui était resté collé à la peau.
Parfois, Cendre se demandait quel était son véritable nom. Hélas, de son passé avant l'arrivé de Lady Trémaine ne restaient que des brides indistinctes. Le visage de son père. Une caresse. Le souvenir d'une voix aimante.
Et puis la maladie, le remariage, la mort suspecte de son père, et la solitude.
Cendre passa une main prudente dans les restes du feu. Il lui était arrivé de retrouver des morceaux de ferrailles ou des braises non éteintes dans sa couche, petit cadeaux de ses « sœurs ».
Rien cette nuit.
Il resta un long instant immobile, attentif au moindre bruit suspect.
Silence. La maison dormait.
Ses longs doigts calleux, tout couturés de cicatrices, tâtèrent le motif sculpté dans la pierre, à l'intérieur de la cheminé. Son index s'enfonça dans un orifice familier. Il y eut un déclic.
La pierre pivota sans bruit, révélant une porte juste assez large pour un enfant ou un jeune homme à quatre patte. Cendre s'y engouffra aussitôt.
Il y avait une raison pour laquelle Cendres restait dans ce manoir, et supportait à longueur de temps l'esclavagisme des Trémaine. Un secret qu'il avait découvert par hasard, quinze ans plus tôt.
Il posa sa main là où il savait, par la force de l'habitude, que se trouvait une bougie, qu'il alluma à l'aide d'un dispositif de son invention.
Une douce lumière se répandit dans la pièce. Chez lui.
Il sourit.
C'était une pièce d'une vingtaine de mètre carrés, dont trois des murs étaient recouverts de bibliothèques bien fournis. Au troisième était adossé un bureau, surmonté d'une foule de plans et de diagrammes dessinés au charbon sur du papier fait à la main. Il y avait une petite couche, aussi, que Cendres n'avait jamais utilisé. Il avait bien trop peur de s'endormir ici et de ne pas se trouver dans la cheminée lorsque l'aube se lèverait. Que les Trémaine découvre son repaire était sa hantise.
À la place, le sommier servait d'atelier. Dessus était posé une multitude de machines étranges, d'engrenages, de ressorts, de courroies, de vis et de plaques de métal, qui débordaient sur le sol et empiétait sur chaque espace libre.
Cendre enjamba distraitement ses expériences et se dirigea vers le bureau. Il ouvrit la petite boite qui se trouvait dans un coin et y glissa les perles qu'il venait de collecter. Elles rejoignirent le petit trésor qu'il avait amassé au fils des années. Avec ces perles, il aurait certainement assez pour fuir et vivre ailleurs. Loin. S'acheter un atelier. Continuer à étudier les machines de l'ancien temps.
Mais restait, encore et toujours, le problème des livres. Cendre ne pouvait pas laisser derrière lui autant d'inestimables ouvrages, à l'intérieur desquels il avait tout appris. La plupart étaient des traités de mécaniques datant du Temps des Splendeurs, mais il y avait aussi des livres d'histoires, de sciences naturelles, de médecine, de poésie, et des romans qui mêlaient aventures, chasses aux trésors et romances dans un monde depuis longtemps disparu. Une somme de savoir inestimable.
Mais comment les sortir d'ici ?
À cet instant, un bruit se fit entendre.
Un moteur, dehors.
Il se figea.
Les véhicules électriques étaient assez rares pour qu'il n'y ait aucune méprise : un membre des Grands du royaume approchaient.
La maison allait se réveiller. Ils allaient voir qu'il n'était pas dans la cheminée, et le chercher, et s'il le trouvait...
Cendre remonta les escaliers en quatrième vitesse, prit d'une panique folle.
Il fit tourner le battant du passage secret et sauta dans la cheminée. Le passage secret se referma au moment où la porte de la pièce s'ouvrait, livrant le passage à Lady Trémaine.
La femme le dévisagea de ses yeux durs et secs, sans noter la cendre qui finissait de retomber autour du jeune homme.
-Interdiction de te montrer, cracha la Lady avant de se retirer.
Dévoré par la curiosité, Cendres la suivit tout de même, avec une prudence donnée par l'expérience. Il se cacha en haut de l'escalier, derrière une statue au visage mangé par le temps, et observa la scène qui se jouait en contrebas.
Lae chambellan paraissait extrêmement las. Iel devait avoir roulé toute la nuit, et le discours qui sortit de ses lèvres semblait prémâché, comme déjà répété une centaine de fois.
-Vous êtes cordialement invité, vous, les membres de votre maisonnée, ainsi que tous le royaume, au bal qui se tiendra dans deux jours au château. Alexandre Ier, notre roi, a en effet décidé qu'il choisirait bientôt la parsonne qui partagera sa vie et son trône.
À ses mots, les deux sœurs Trémaine émirent un long cri strident, qui fit grincer les dents du chambellan.
-Tenue correcte exigée, continua tout de même le Grand du royaume. Le bal commencera au coucher du soleil. Le trajet ne sera en aucun cas remboursé par la maison royale. Nous espérons votre présence, ajouta-t-iel avec un manque de conviction évident.
Puis, sans attendre de réponse, les gardes qui l'accompagnaient firent volte-face. Un instant plus tard, on entendit le bourdonnement caractéristique des moteurs à électricité.
Et les Trémaine furent seuls dans le hall.
-UN BAAAAAL ! s'exclamèrent les deux sœurs en tapant dans leur main, toute émoustillée. Il faut que le prince nous choisisse ! Nous allons devenir reiiiiiine !
Lady Trémaine ne disait rien, mais Cendre pouvait, de là où il était, apercevoir la flamme d'avidité et d'ambitieux qui flambait dans son regard.
Il se retira sans bruit en se demandant à quoi diable pouvait ressembler un bal.
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Pour ceux qui se demandent à quoi riment tous ces "iels" et "lae", rendez-vous au chapitre suivant ;)
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Cendre (BxB)
FanfictionIl était une fois un pays lointain, un royaume en ruine qu'une guerre interminable n'en finit plus de détruire. Il était une fois un roi au cœur glacé de solitude. Il était une fois un jeune homme traité comme un souillon par sa famille adoptive. Il...