Chapitre 31

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"On aime sa mère presque sans le savoir, et on ne s'aperçoit de toute la profondeur des racines de cet amour qu'au moment de la séparation dernière." - Guy de Maupassant

Mes yeux ne se détachent pas de la personne se trouvant face à moi mais je ne réalise toujours pas. Sa respiration est haletante, son regard est celui d'une mère perdue.

— Karen...

J'observe avec attention la femme d'une quarantaine d'années. Depuis que j'ai quitté Corvallis elle a un peu changé, des poches violettes soulignent ses yeux verts et trahissent son manque de sommeil, son visage qui semblait autrefois lisse est présentement creusé de rides, pourtant je n'ai pas un doute, il s'agit bien de Karen Hardee... celle que j'ai considéré pendant trop longtemps comme la mère de Jen.

— Qu'est-ce que tu fais ici? Elle me demande encore.

Je ne réponds rien et me contente de vérifier que Taylor n'est pas sortie de sa chambre. Non, il n'y a aucun signe d'elle, l'appartement est calme, plongé dans un silence, troublé néanmoins par le bruit de la trotteuse de l'horloge murale. Les tics et les tacs semblent accélérer, le temps semble gagner en célérité. Devant mon mutisme persistant, Karen se racle la gorge.

— T... Taylor est là? Elle peine à sortir.

— Vous ne devriez pas être ici... je secoue la tête troublé. Enfin... tu ne devrais pas être ici.

— Si! Elle hoche la tête. C'est mon bébé, je dois la voir... elle pose une main dépitée sur son front. On me l'a volée... je ne l'ai vue qu'une seule fois et ça n'a duré que cinq minutes. Laisse-moi passer Miles, sa voix tremble.

— Je ne peux pas faire ça. Je lui barre égoïstement le chemin. Taylor est trop sensible pour tout savoir et surtout pas de cette façon...

— S'il-te-plaît Miles, elle me supplie les yeux remplis de larmes.

Je n'éprouve que de la compassion et du respect pour cette femme mais pourtant, il me semble impossible de réaliser son souhait. Sa main, tremblante, s'approche près de moi et se pose délicatement sur mon avant bras. Son contact est frigorifiant. Je reste béat, ne sachant pas comment agir. Dois-je la laisser entrer? La chanson de la trotteuse ne diminue pas de rythme.

J'entends soudainement que la porte de la chambre s'ouvre, je retrouve la raison et comprends qu'il ne me reste que quelques secondes avant de faire Karen s'en aller.

— S'il-te-plaît va-t-en Karen... je chuchote. Je te promets qu'on en reparlera quelque part d'autre cet après-midi mais va-t-en maintenant je t'en prie, fais-moi confiance, c'est ce qu'il y a de mieux pour toi et pour Taylor aussi.

Elle hoche la tête en se pinçant la lèvre. Elle défait son contact du mien, réajuste son sac sur son épaule, une larme coule le long de sa joue mais elle s'empresse de l'essuyer puis elle me tourne le dos et s'en va rapidement par la cage d'escalier.

— C'était qui? Me demande Taylor enroulée dans un peignoir.

— Un livreur, il s'est trompé d'étage. Je me gratte la nuque.

— Ok. Elle me sourit en se glissant dans mes bras.

— Je suis en retard pour le café, je ne laisse pas notre échange s'éterniser. Je peux utiliser ta salle de bain?

J'ai profité d'être seul sur le chemin du café pour envoyer notre lieu et heure de rendez-vous à Karen. Que je discute avec elle est la seule façon de la raisonner et ainsi l'empêcher de tout foutre en l'air.

En entrant dans le café, je constate qu'il est rempli, que beaucoup de clients s'impatientent au comptoir et que des tables n'ont pas été débarrassées. Derrière le comptoir, Ludovic me fait signe de sprinter alors que sa casquette jaune pâle recouvre ses bouclettes noires. Je me dépêche d'enfiler mon uniforme dans le vestiaire et vois que Karen vient tout juste de confirmer notre entrevue, elle se tiendra donc dans un bar non loin de chez Austin à 18h30.

Heart Monitor (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant