La curiosité de Swan

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Je vole par dessus eux. De ma vue, ils ont l'air miniscules.

Swan galope sur son cheval et les centaures l'entourent. Ils prennent parfois des pauses, mais je ne m'arrête pas. Je dois continuer, les ignorer pour oublier Emma, le passé de Swan. C'est comme ça qu'elle nomme son passé, si je me fie aux brides de conversations que j'arrive à entendre.

C'est sa façon de dire que je ne fais plus partie de sa vie. C'est sa façon de m'oublier.

Ça fait quelques jours que nous voyageons. Toujours la même routine. On se déplace et pendant la nuit, on se repose. Moi, je m'installe dans une montagne éloignée pour avoir une vue d'ensemble pour prévenir les attaques. Mais surtout, pour leur laisser leur intimité.

Les centaures ne m'aiment pas, j'en suis sûre. Ils ne rêvent que de m'arracher une écailles, comme les autres de leur espèce. Nous avons longtemps été en guerre et même si nous sommes théoriquement en paix, rien ne s'est vraiment arrangé dans cette haine profonde.

Une guerre de 450 ans, mais qui n'a arrêté que peu avant ma naissance. C'est comme les Britanniques et les Français chez les humains: ça fait longtemps que la guerre de 100 ans a fini, mais on les imagine encore en rivalité. Donc, la haine y est toujours, gravée dans nos âmes perdues.

Je ne suis pas inconsciente que Swan ne m'aimera jamais. Elle ne me pardonnera même pas pour lui avoir cacher sa nature, mon âge et mes envies meurtrières. Voilà pourquoi elle préfère le centaure... j'ai oublié son nom, mais bon, on s'en fout. Si elle aime un centaure, elle ne va jamais aimé un dragon. Encore moins une dragonne.

Oups, c'est vrai: elle est déjà tombée amoureuse d'un dragon, mais il ne l'était plus vraiment. Compte-t-il réellement?

Bref, j'évitais le sol, jusqu'à aujourd'hui: Swan m'a appelée à descendre. Je descends lentement, prenant mon temps et j'atterrie à quelques kilomètres d'eux et je marche lentement près d'eux, tandis qu'ils continuent leur marche. Le cheval de Swan semble peureux en me voyant.

-Pourquoi te poses-tu si rudement, demande la princesse? Les dragons sont capables de beaucoup plus de grâce que ça...

-J'en suis capable, mais j'aime trop la sensation que j'en fait ma tête. Et puis, ça défoule.

-Tu n'as pas peur de te briser une patte?

-Ça fait presque 90 ans que je me pose comme ça. J'ai de l'expérience.

-Et tu as quel âge?

-89.

-C'est vieux, ça?

-Tu m'as appelée juste pour ça ou il y a autre chose?

Elle me regarde d'un air étrange:

-Ça fait plusieurs jours que tu ne descends pas. J'aimerais bien apprendre à connaître ceux qui me protège. Et puis, c'est ennuyant, sans parler.

-Tant pis pour toi, réplique Yurisse, la femme centaure. Une forte majorité des créatures de Sadrion préfère le silence. Évidemment, c'est les humains qui sont plus bavards.

-Ou les dragons pendant les festivités, comme l'Avestie, ajoute Vatorn Ioca, celui qui ressemble un peu au serviteur de Varshice.

Ce dernier me regarde avec un air méprisant. Je fais donc remarquer:

-C'est là où vous cherchez vos écailles, n'est-ce pas? Les bleus, or et blancs parlent trop et ne se rendent pas compte que vous leur avez piqué une écaille.

-Ils parlent trop quand ils sont saouls, commente Finiack, le centaure séducteur, puis il regarde Swan. Tu savais, beauté, que je suis le plus grand collectionneur d'écailles de tous les centaures. Une collection de plus de 200, c'est énorme, non?

Je pars à rire aux éclats et j'arrête brièvement pour m'expliquer:

-Alors, non, ta collection est bien pauvre: les dragons ont 100 écailles de plus à chaque année. Donc, à 89 ans, j'en aurais 8900 si je n'étais pas rouge et si des centaures m'avaient arraché certains coins. Mais, je suis rouge et aucun centaure n'a réussi à toucher avec le bout de ses doigts mon corps. Alors, je dois en avoir dans les alentours de 89 000 et la plus jeune dragonne rouge, donc celle qui en as le moins de tous ceux de ma couleur. Alors, 200, ce n'est pas beaucoup.

Aldervo, le centaure sans personnalité, me regarde donc d'un air curieux et affirme:

-Même Drascon ne pouvait pas se souvenir de tels détails. Tu dois être celle qui a eu 450 points. Par contre, je ne me souviens plus de ton nom... Ça commence pas par "S"?

Je hausse les épaules en repensant à celui qui m'a donné ce nom puis j'affirme:

-Ce n'est qu'un surnom civil. Mes parents m'ont appelé Rouge, tellement qu'ils étaient dégoûtés de ma couleur.

-Pourquoi, demande Swan? C'est pourtant beau, le rouge. Ça fait royal.

J'explique alors:

-Pour les dragons, l'enfant est une fierté que s'il est bleu, blanc ou or. Ceux qui sont de couleur marrons sont destinés à être enseignant, donc ils sont acceptés par les parents, mais pas à l'Avestie. Pour les rouges et les noirs, c'est la honte. Nous sommes considérés comme des meurtriers, assoiffés de sang.

-Alors, si tu en as tué 340, c'est forcément vrai, commente Finiack. Franchement, beauté, tu tiens vraiment à connaître une meurtrière de la sorte?

-Tais-toi, lui ordonne Yurisse. Continue, Dragon.

Je n'ai pas réellement envie de continuer, mais ce n'est pas des secrets d'états ou une manière qui peut les aider à me tuer. De plus, Swan me regarde avec des yeux si brillants! Elle est désireuse de savoir et ça me fait craquer totalement. Alors, je continue:

-En fait, ce n'est pas dans notre nature de tuer. Ça le devient, car le monde nous traite comme si ce l'était. On se fait tellement traiter de cette manière qu'un jour, on le devient et on ne peut revenir en arrière. Oui, nos gènes nous donnent plus de chances d'avoir l'envie de tuer, mais c'est surtout les autres qui nous façonnent de cette manière, tout comme on façonne les princes à devenir rois ou les princesses à devenir reines. Même si on refuse en premier temps, ça nous rattrape et on essaie. Le gène maléfique s'activent et on en veut plus.

-Ça paraît que tu l'as vécu au son de ta voix. J'ai l'impression que tu aurais pu en tuer plus...

-Pas vraiment: Radfled, mon professeur, me contrôlait pour que je puisse diminuer. Mais je trouvais toujours une façon d'en tuer plus et ça l'inquiétait. Comme dernièrement, quand je devais tuer Xa... Drascon. À place de juste le tuer simplement, j'ai brûlé la forêt où qu'il y était. J'avais calculé un certain nombre de morts supplémentaires juste avant, alors je l'ai fait.

-Et bien, tu me rappelles mon ex-meilleure amie, commente Swan d'un air nostalgique. À chaque fois qu'on voyait un film, elle était toujours du côté du méchant.  À la fin, elle m'expliquait ce qu'elle voyait de lui en expliquant toutes les raisons possible, me faisant comprendre pourquoi il agissait ainsi.

-Pourquoi dis-tu "ex-meilleure amie"?

Elle détourne le regard, puis ajoute:

-Pas aujourd'hui, s'il te plaît.

Dragon rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant