La métaphysique est un bien long mot

Chapitre 2

Ambre entra dans la cuisine tout en s'attachant les cheveux. Elle sortait de la douche et venait de s'habiller. Mathieu était assis à table et buvait un bol de lait, ils échangèrent un petit signe de la main accompagné d'un bruit inarticulé. Il était sept heures vingt, c'était sans doute trop tôt pour prononcer un « Bonjour ».

Elle ouvrit le placard et prit un biscuit aux céréales, puis un kiwi dans le frigidaire, qu'elle mangea rapidement. Elle hésita quelques instants, ne voulant pas déranger Mathieu alors qu'ils devaient bientôt partir au lycée, mais embêtée de devoir attendre jusqu'au soir.

— Tu as une minute ? demanda-t-elle finalement.

Il hocha la tête en s'essuyant le tour de la bouche. Après avoir terminé son bol d'une traite, il laissa sa vaisselle dans l'évier.

Ambre sortit en emportant un biscuit et en lui faisant signe de la tête de la suivre. Elle l'emmena dans sa chambre où la couette de son lit gisait à moitié par terre et où son pyjama était encore en boule sur l'oreiller. Mathieu s'assit sur le matelas en se frottant les yeux, la mine fatiguée. Elle prit sur son bureau la photo qu'elle avait trouvée la veille, ainsi que le dessin. Elle les avait longuement examinés avant de se coucher, mais n'avait toujours pas d'explication.

— Dis-moi ce que tu en penses, dit-elle en lui tendant les deux.

Mathieu prit le dessin et l'étudia en le rapprochant de son visage. Il eut une moue impressionnée.

— Il est superbe, c'est vraiment très réaliste, je ne sais pas comment tu fais des trucs pareils.

— C'est pas ça, regarde la photo.

Il s'exécuta sans paraître comprendre ce qu'elle attendait. Puis il haussa les épaules.

— Oui ? fit-il. C'est la photo sur laquelle tu t'es fondée pour faire le dessin ?

— Non, justement, je dessinais sans modèle. J'ai trouvé la photo après seulement avoir réalisé le dessin.

Il plaça les deux papiers à côté pour les comparer. La différence de proportion empêchait sans doute de bien se rendre compte.

— Tu ne les trouves pas extrêmement ressemblants ?

— Si, c'est vrai qu'il y a un air. Mais elles sont quand même assez différentes. Les traits du visage...

Ambre se pencha par-dessus son épaule pour revoir les deux portraits, comme s'ils avaient pu se métamorphoser depuis la veille. Pour elle il n'y avait aucun doute, on aurait dit que pour dessiner elle avait cherché à reproduire à l'identique la fille de la photo. Et c'était plutôt réussi.

— Tu as dû t'inspirer un peu de la photo sans t'en rendre compte.

— Mais je ne l'avais jamais vue avant, je ne sais même pas qui est cette fille. Je l'ai trouvée derrière ma commode, elle a dû tomber là il y a longtemps.

— Tu cherchais un truc, derrière la commode ?

Ambre hésita une seconde. Elle avait peur de passer pour une folle, mais elle savait que Mathieu n'était pas du tout moqueur, et qu'on pouvait se confier à lui. Ils étaient suffisamment proches.

— Une inconnue est venue me parler dans la rue et elle m'a dit de regarder derrière ma commode.

Mathieu haussa largement les sourcils, ce qui lui faisait un air mignon avec ses yeux bridés. Il avait l'air de s'apprêter à rire, mais dut se retenir en voyant qu'Ambre était sérieuse, et prit finalement le temps de réfléchir.