Chapitre 17

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Le samedi après-midi, Ambre était assise sur son lit en train de chercher à télécharger sur Internet le texte complet des Fruits d'or de Nathalie Sarraute qu'elle ne comptait pas lire en entier mais seulement quelques passages choisis, quand un message de rappel qu'elle avait enregistré elle-même s'afficha à l'écran. « Penser au shampooing pour la piscine ». Comme Ambre avait pendant un temps eu l'habitude d'aller nager certains samedi après-midi après les dissertations du matin, elle avait programmé son téléphone pour qu'il affiche cette note tous les samedis à quinze heures trente. Elle utilisait toujours le même sac, une besace plutôt informe, dans laquelle se trouvaient toute la semaine son maillot de bain, une serviette éponge, une brosse à cheveux, mais elle avait déjà plusieurs fois oublié de prendre le shampooing qu'elle laissait naturellement dans la salle de bain. Et elle estimait qu'il n'y avait rien de plus désagréable que de se retrouver sous la douche à la sortie du bassin et de ne rien avoir pour se démêler la tignasse – la brosse se retrouvant impuissante dans une telle situation – et de sentir le chlore jusqu'au prochain lavage.

Elle n'avait pas prévu d'aller nager ce jour-là. En fait, elle n'y avait même pas réfléchi. Cela faisait plusieurs semaines à la suite qu'elle avait toujours une excuse, quelque chose à faire, ou simplement la fatigue. Certes, elle n'était pas plus en forme que d'habitude, mais ce n'était pas non plus une raison pour se terrer dans son oisiveté. Pourtant, elle n'avait pas la moindre envie de sortir faire cet effort. Elle ne voyait ça que comme une perte de temps, et elle ne se souvenait plus vraiment des motivations qui avaient pu la pousser à le faire jusque-là.

Elle se laissa tomber en arrière pour s'allonger sur son lit, et rapprocha son écran de son visage, poursuivant nonchalamment sa recherche. Les Fruits d'or devait être trop récent pour pouvoir en trouver le PDF en ligne. Elle n'allait tout de même pas l'acheter pour quelques extraits... Il faudrait donc qu'elle l'emprunte au CDI du lycée ou à la bibliothèque. Elle comptait l'écrire dans son agenda pour être sûre d'y penser, mais elle se mit à jouer à un jeu sur son téléphone, dans lequel il fallait diriger un personnage qui courait pour lui faire éviter des obstacles grotesques, et elle oublia probablement de le noter.

***

Ambre froissa en boule le brouillon qu'elle venait de griffonner au crayon de papier. Depuis quelques minutes déjà, elle s'acharnait à essayer de rédiger une lettre qu'elle pourrait envoyer au 34 rue du Plateau à Vitry-sur-Seine, mais aucune de ses versions ne la satisfaisait. Elle était recroquevillée sur sa chaise de bureau, ensevelie sous sa couette qu'elle avait tirée sur ses épaules par flemme d'enfiler un pull lorsqu'elle avait eu froid, à force de rester immobile. Elle venait d'user la dernière feuille parmi celles qu'elle avait sorties de sa pochette, et elle hésitait à en sortir de nouvelles.

Comment écrire une lettre qui paraisse anodine mais qui explique bien la situation ? Elle ne savait même pas si elle devait l'adresser à Léa Rouanet directement, ou à ses parents, car elle n'habitait peut-être plus chez eux. Il y avait aussi la possibilité qu'elle soit morte... Elle craignait la réaction des parents s'ils recevaient une lettre demandant des nouvelles de leur fille décédée. Il fallait donc prendre un ton plutôt détaché, ne trahissant pas l'urgence de la situation, mais il fallait également qu'ils comprennent pourquoi elle leur écrivait. Ambre ne pouvait pas raconter qu'une inconnue lui avait dit de parler à Léa Rouanet, et qu'elle obéissait aux ordres sans véritable raison.

Elle avait donc tenté d'expliquer qu'elle était la nouvelle locataire de l'ancienne chambre de Léa, qu'elle était en hypokhâgne C/L, et qu'une amie à elle – laissant éventuellement croire qu'il s'agissait d'une ancienne camarade de classe de Léa – lui avait parlé de Léa, par exemple pour des raisons d'orientation scolaire, ou n'importe quoi. Peu convaincue, elle avait cherché d'autres possibilités, en se présentant le plus brièvement possible, en s'inventant une raison plus crédible, ou en se donnant de la part de Florent, espérant que le nom d'une personne connue servirait d'argument d'autorité.

La métaphysique est un bien long motOù les histoires vivent. Découvrez maintenant