La métaphysique est un bien long mot

Chapitre 11

Ambre se présenta à sa colle d'histoire comme un condamné au peloton d'exécution. Elle s'était très mal préparée, ayant passé ses nuits à s'interroger à propos de Léa Rouanet au lieu de réviser, ou au moins, de dormir. Elle arriva dans la salle une heure après avoir tiré son sujet, qui portait sur les formes du nationalisme pendant l'entre-deux-guerres et la Seconde guerre mondiale en France, et sur lequel elle était censée avoir raisonné pendant ce temps passé au CDI. Mais elle n'était parvenue qu'à cracher une pauvre problématique et quelques dates, vagues souvenirs qui ne parvenaient pas à alimenter un développement complet.

Elle s'assit devant le professeur les jambes tremblantes. Les salles de colle étaient toutes petites, si bien qu'il n'y avait que deux bureaux, un pour lui et un pour elle, face à face, ainsi qu'une minuscule fenêtre qui ne faisait même pas entrer de lumière. M. Clauvet relut l'énoncé du sujet, nota le nom d'Ambre, la fit signer dans une case et l'invita avec un sourire à commencer.

Elle débita quelques phrases toutes faites, des banalités sur la période, pour essayer d'introduire la question du nationalisme. Elle aperçut les sourcils légèrement froncés de son professeur qui prenait des notes en même temps, et elle chercha à se raccrocher à son brouillon de préparation, mais elle avait perdu le fil de ce qu'elle disait. Sa page était encombrée de ratures et de flèches pour relier les idées les unes aux autres dans une tentative d'ordre. Quelques points se succédaient en un petit paragraphe, puis de gros blancs l'abandonnaient à l'improvisation, une véritable chute libre qu'elle ne maîtrisait absolument pas.

Elle s'interrompit quelques secondes pour essayer de se concentrer et de rassembler ses pensées, elle n'arrivait pas à relire ses notes, ses mains tremblaient trop pour tourner les pages. Elle se frotta un œil en espérant reprendre ses esprits.

— Tout va bien ? demanda M. Clauvet.

Elle leva les yeux vers lui et le trouva le stylo en l'air, attendant qu'elle dise quelque chose. C'était encore pire, il fallait à présent qu'elle parle en sentant peser sur elle son regard et ses critiques. Elle crut qu'elle allait se mettre à pleurer, mais tout son corps forçait un élan inverse pour l'en empêcher. Les potins dans la classe rapportaient parfois des cas d'élèves qui auraient perdu leurs moyens pendant une colle, et elle s'était toujours dit que même dans la plus grande difficulté, elle n'en viendrait pas à fondre en larmes devant un professeur. Elle était prête à accepter une très mauvaise note, mais il valait mieux discuter avec le professeur pour expliquer d'où venait cet échec particulier, plutôt que de l'amadouer en se mettant à geindre.

— Attendez, dit M. Clauvet, ça ne sert à rien d'essayer de continuer dans cet état. Qu'est-ce qui se passe ? C'est un coup de panique ? Ça arrive à tout le monde, vous savez.

Elle essaya de prendre quelques grandes inspirations pour pouvoir lui répondre sans que sa voix reste coincée dans sa gorge.

— Je ne sais pas... Je n'ai pas trop réussi à réviser, et là je me rends compte que c'est n'importe quoi... Je ne maîtrise pas du tout le sujet...

— On est en plein dans l'hiver, au début du deuxième semestre, c'est normal de flancher un peu. Il ne faut pas vous inquiéter, ça va repartir très vite. Vous n'avez pas un souci particulier dont vous aimeriez avertir les professeurs ?

Elle secoua la tête.

— Non, il n'y a rien d'important... Enfin, une chose me tracasse depuis quelques jours, mais ce n'est rien, ça va passer. C'est personnel, en fait.

Il attendit de voir si elle avait autre chose à dire, mais elle n'ajouta rien. Il fit un peu d'ordre dans ses papiers, c'était sûrement un prétexte pour la laisser ce calmer et attendre de voir ce qu'ils allaient décider de faire. Elle préféra ne rien proposer, ni tenter de reprendre son exposé. Elle aurait seulement voulu disparaître et ne plus jamais devoir faire de colle de sa vie.