Je m'appelle Ludovic et je suis un Invalide.
J'étais un adolescent extraordinairement ordinaire à l'époque.
J'avais des amis, une famille et beaucoup d'amour ... je n'en restais pas moins naïf et imprudent. Et cette naïveté et cette imprudence m'ont...
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
LUDOVIC
— Et c'est là que Elisabeth Woodville lui répond : « And it is God that put my daughter on the other throne, beside him » (Et c'est Dieu qui a mis ma fille sur l'autre trône, à ses côtés) et là, Margaret Beaufort, elle la regarde avec un air tellement hautain et tellement haineux ! J'adore cette série !
Depuis que ma mère a découvert cette série, The Not-Black Princess ou un truc du genre, la télévision est devenue son deuxième enfant. Dans les grandes lignes, ça parle du règne d'Elisabeth d'York et de tous les complots qui tournent autour de la cour d'Angleterre autour des années 1485 j'crois, enfin c'est ce qu'elle m'a dit y'a cinq minutes. Elle est complètement absorbée depuis deux jours par les mésaventures des maisons York et Tudor. L'histoire anglaise c'est sa passion, d'un côté c'est aussi son histoire et comme le hasard fait bien les choses, elle a hérité dès sa naissance du nom qui l'honore : Lucile York. Elle a tendance à partir souvent dans des délires bizarres et des longs monologues cataclysmiques à consonances historiques. Avec ma famille il faut rester concentré.
— D'accord maman ... du coup tu peux juste baisser le son, j'essaye de discuter avec Lili et on ne s'entend pas du tout, demandé-je calmement.
— Oui, oui pardon mon petit roi... je vais baisser, s'exécute-t-elle.
Je m'avance un peu vers le fauteuil sur lequel elle est assise, entourée de toute sa garde royale, c'est-à-dire : chips, bières et pizzas.
— T'es sérieuse maman, dis-je en regardant son déplorable régime alimentaire de la soirée.
— Quoi ? Moi aussi j'ai ma règle des trois conditions ! Et pour profiter pleinement d'une bonne série j'ai besoin de choses pour carburer ! Tu en veux ? me demande-t-elle en me tendant un morceau de pizza, la bouche pleine.
Je m'approche et elle me calle la part entière dans la bouche.
— Pizza royale ! s'exclame-t-elle.
Je ris légèrement puis passe derrière elle et recolle du bout de mon coude immobile l'étiquette qui pend sur son siège, et sur lequel nous pouvons lire distinctement le mot « Trône ».
— Ludo, je trouve plus la baguette magique, elle est où ?
— La baguette magique ? Sous tes fesses sûrement, ou sous le trône, je ne sais pas, je ne l'utilise pas.
— Ah oui, elle est là ! dit-elle en saisissant la télécommande sous son fauteuil.
Ma mère a tendance à étiqueter, à renommer plutôt, tout ce qui passe entre ses doigts. Mais quand je dis tout, c'est TOUT ! Elle adore la « fantasy », la royauté britannique et l'étiquetage. C'est donc pour cela que dans notre maison il est très commun que vous croisiez des têtes de dragons, à côté de celles d'Elisabeth II et des étiquettes plein les meubles. Chez nous, la télévision s'appelle « boule de cristal », la télécommande est la « baguette magique », le lustre est le « chandelier » et Charlotte Lacour est la « Grosse Gueuse ». Je ne sais pas pourquoi elle se fait chier à étiqueter le lustre ... Enfin bref, voilà l'univers atypique dans lequel nous vivons, riche en folie et qui ne manque pas d'amour. Nous sommes fiers de la manière dont nous vivons. Notre boîte aux lettres est marquée d'un soigné « corbeau », notre porte d'entrée est la « herse » et nous avons également la table du salon simplement habillé du mot « ronde ». Je soupçonne secrètement ma mère de vouloir changer mon prénom en « Arthur ». Sans rire, je crois que mon prénom est son plus grand regret. Un prénom c'est une identité, et l'identité chez ma mère c'est quelque chose de vraiment compliqué. Rien qu'à voir les personnages qu'elle a dans sa tête, ou le fait qu'elle soit une française très anglaise. Elle a dû plusieurs fois trahir son identité pour d'autres, notamment pour mon père, ce lâche, et je pense que c'est pour ça que maintenant elle n'arrive plus tellement à en garder une bien constante. Ne vous inquiétez pas, ma mère va bien. Il suffit juste de ne pas lui donner à manger après minuit ... Enfin, pour moi, elle restera toujours la même personne, malgré les mimiques qu'elle s'invente et les rangs qu'elle s'accorde, elle restera toujours ma petite maman d'amour.