Je m'appelle Ludovic et je suis un Invalide.
J'étais un adolescent extraordinairement ordinaire à l'époque.
J'avais des amis, une famille et beaucoup d'amour ... je n'en restais pas moins naïf et imprudent. Et cette naïveté et cette imprudence m'ont...
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LUCILE
J'ai vraiment l'air conne.
Je suis là sans vraiment l'être. Je suis comme à l'extérieur du monde, comme si quelque chose d'invisible m'en séparait. J'ai l'air perdue, et tout porte à croire que je le suis vraiment, perdue.
Huit mois qu'il n'est plus là. J'ai l'impression d'avoir une épée de Damoclès juste au-dessus de la tête qui menace de me briser le cou.
La grande allée centrale du supermarché me semble bien plus maigre que d'habitude, et j'ai horreur des petits espaces. Elle est vide, et j'aurais aimé un peu plus de monde pour se bousculer, si cela pouvait me permettre de me fondre dans la masse. Mais les caissières brassent de l'air, et le silence pèse lourd.
Jeudi 7 juin, 14h29, les gens normaux travaillent, tandis que les gens comme moi errent sans vraiment savoir pourquoi, vers un endroit qui n'excelle pas dans le confort. Plus j'avance au milieu des rayons, les deux mains mal placées sur mon cadi, plus j'ignore ce que je suis venue faire dans ce supermarché. Il m'arrive d'avoir des périodes de troubles en ce moment, plus que d'habitude, plus qu'au tout début. J'ai des moments d'inattention, d'inconscience, et d'oubli. Je ne me rappelle plus de ce que je dois faire à un moment donné, comme maintenant d'ailleurs. J'émerge souvent au milieu de rien, sans savoir ce que j'y suis venue faire, et je me perds. Je m'arrête quelques secondes au milieu de l'endroit pour prendre une respiration et essayer de retrouver la raison de ma présence.
Un mal de tête me prend, pourtant ce n'est pas pour ça que je suis ici.
J'ai toujours eu pour habitude de m'apprêter avant d'aller n'importe où, même au supermarché. Mon apparence devait pouvoir compléter les défauts de ma personnalité, mais au point où j'en suis, là, je suis à vif. Je n'ai plus rien derrière quoi me cacher.
En baissant les yeux vers mon cadi, j'aperçois cette espèce de chaise faite pour y asseoir les enfants désinvoltes, et en tournant la tête à ma gauche, je vois une mère qui y assit son petit dernier. Ludovic ne tenait jamais en place à l'époque, il était constamment assis dans cette petite chaise quand il m'accompagnait. Qu'importe où j'allais, il resterait au premier plan, comme toujours. En vérité, il n'aimait pas ce siège, il avait peur que je l'y mette, il avait peur que je l'abandonne là.
Je secoue le visage, me concentre et place à nouveau mon cadi dans le milieu de l'allée.
Lorsque je croise une autre âme errante, nous nous adressons un sourire, même un bonjour. Chaque personne de ce village connaît mon histoire, et m'adresse ce regard habituel et sincère, m'arrêtant même pour prendre quelques-unes de mes nouvelles et me proposer des services, de l'aide. Mais je n'ai pas besoin d'aide, et je n'ai pas non plus besoin que les gens me disent qu'ils sont désolés. Tout ce qui m'arrive, ce sont mes décisions qui en sont la cause. Même si c'est Ludovic qui a fait son choix, je culpabilise de ne pas l'en avoir empêché. J'aurais peut-être dû l'en empêcher, quitte à passer pour une mère égoïste. Mais même en fauteuil, rien ne pouvait arrêter Ludovic, et je pense que personne n'en avait vraiment le pouvoir, même pas sa mère. N'y pense plus, Lucile ...