Chapitre premier

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Je me redressai soudain. Il me sembla durant un instant que quelque chose avait bougé mais pourtant tout semblait à sa place. La tapisserie muette, le tapis rongé, le lit vieilli, le bureau neuf et beaucoup de livres partout. Et moi aussi.

Le toucher un peu moelleux de mon lit me berçait encore délicatement dans l'aube du jour. J'avais des airs difformes, si bien que moi-même, j'aurais eu bien du mal à discerner mes pieds de ma propre tête. Il n'y avait que le souffle de la nuit qui me susurrait doucement à l'oreille, cette oreille qui écoute la conscience parler toute seule, que le réveil allait sonner, inéluctable.

Il ne sonna pas. Épique, ma main ridicule et ma paume lourde qui s'écrase en belle enclume sur le pauvre réveil. Il couina d'indignation, la sale gueule rouge de tant de violence. D'indignation, je crois qu'il me fit la tête durant quelques instants. Puis un certain temps passé, je décidai qu'un réveil ne devait pas avoir tant de mémoire que ça et qu'il devait avoir oublié. Je me levai.

[...]

Personne n'eut besoin de me rappeler ce pourquoi j'étais là. Sans cesse, tout se superposait à mes yeux, maladif. Sans cesse, j'avais en tête l'image imaginaire d'un bâtiment blanc aux allures de fantôme. Et son nom me revenait sans cesse, comme des réminiscences d'un passé lointain et austère ; Saint-Exupéry. L'image du Petit Prince avec sa cape qui flottait au vent inondait mes rêves d'enfant.

Je ne sais pas si je fis exprès d'écraser encore ma paume sur le réveil. Moi aussi j'avais peut-être la mémoire courte. Ou les nerfs fragiles. Certains choix nous paraissent étrangers. Je crois que les nôtres ont souvent cette capacité-là. Celui-ci, très particulièrement, faisait gronder mes entrailles, prêtes à me dévorer dès que je relâcherai mon attention.

J'aurai de la compassion pour ce réveil plus tard.

[...]

— Comment tu t'appelles ?

— Sasha.

— Bonjour Sacha, enchanté de faire ta connaissance.

— Sacha avec « sh ».

Blanc. Je déteste les adultes. Ils croient toujours tout savoir. J'aime les adultes qui sont gamins dans leurs têtes. Les autres sont trop morts pour exister.

[...]

Une porte s'ouvrit en grand, je ne savais que trop penser, j'attendis, enfin, mais la porte s'ouvrit encore un peu plus, un homme passa. Il me demanda mon nom, je lui répondis sagement, il m'écouta sagement, je le sentis écorcher mon nom sans même qu'il l'écrive.

La pluie tombait drue au-dehors. C'était une pluie chaude, une pluie d'été belle et sensuelle avec peu de boue. J'avais très chaud et regarder la pluie me donnait l'impression, la douce illusion d'étouffer tout à fait. Il me vint à l'idée de faire un malaise juste pour voir, juste pour faire flipper tout le monde. Je jetai un œil au monsieur. Un évanouissement n'aurait pas suffi à endiguer sa logorrhée immonde. Un soupir s'évanouit au coin de mes belles lèvres, toutes tendues vers la belle pluie qui tombait drue au-dehors.

[...]

— Comment tu t'appelles ?

— Sasha.

Il ne répondit pas, il ne pensa rien. C'était bien. Il n'y avait aucun bagout un peu philosophique et très stéréotypé.

[...]

Ma chambre ressemblait un peu à une chambre d'hôpital mais en beaucoup plus malsain. Je ne sais pas si la vision m'a plu. J'étais profondément absorbé par la pluie qui avait cessé dehors, par les affaires qui traînaient par terre. Il n'y avait personne. Quelqu'un habitait là, c'était sa maison. Mais il n'y était pas. Je m'assis sur le lit qui n'était pas éventré. Le matelas me sourit étrangement ; je pris ça pour un signe bienveillant.

Il y avait dans un coin un gros ours en peluche à l'air un peu rêche. Une peluche d'un ancien temps. Belle. Son poil était usé mais elle semblait douce de souvenirs. Elle était très douce à regarder et je décidai que je l'aimais bien.

[...]

Je m'endormis sans me poser plus de questions. À côté de moi le lit était vide. Ça ne me dérangeait pas.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant