Chapitre XIV

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— Hm.

J'aurais tellement voulu qu'il reste endormi plus longtemps. Il fit un petit mouvement sur le côté, tandis que je me tournais. Son souffle chaud courait lentement sur mon cou. Je sentais qu'il attendait que je réponde. Il ne me laisserait pas. Il aurait la patience que je n'aurais pas.

— Oui, ça va.

Blanc.

— Et toi.

— Divinement bien.

Blanc.

Je me levai un peu précipitamment. J'eus l'impression durant quelques instants que quelque chose me pressait, que j'étais de nouveau jeté dans le flot de la vie, qui m'emportait loin du sommeil.

— Tu fais un très bon nounours.

Je manquai de m'étouffer.

[...]

— T'es devenu pote avec Georg ?

Blanc. J'enfournai dans ma bouche avide le pain beurré du matin, un verre de jus d'orange douteux à la main.

— Aller, quoi. Je vous ai vus descendre ensemble ce matin.

Blanc.

— Pourquoi il est pas venu au réfectoire avec toi ?

Blanc.

— C'est lui ton compagnon de chambre ?

— Hm.

Elle m'afficha un sourire absolument stupide, visiblement aux anges d'avoir réussi à m'arracher une réponse. Je bus une gorgée de jus d'orange.

[...]

— Aujourd'hui, je vais vous parler davantage de l'avant-garde littéraire et de la naissance de la NRF, de ses...

Elle s'interrompit.

— Sasha ! Je désespérais de vous voir un jour arriver avec moins de dix minutes de retard à mon cours.

En m'inclinant subtilement.

— Madame.

Je rejoignis ma place. Georg était déjà là. Il me sourit du coin de l'œil tandis que je m'installais. J'étais déjà perdu entre le flot voyageur, un peu empourpré de ma professeure de littérature et Georg qui, derrière-moi attirait mon regard. J'avais tellement envie de me perdre dans ses yeux, de fuir comme cette nuit. Mais je ne devais pas.

Je devais lui dire.

[...]

— Sasha ! Attends.

Je m'interrompis, la serviette encore sur la tête, torse nu, mouillé, un peu.

— Hm ?

— Tu descends petit-déjeuner ?

— Hm.

Blanc.

Je le vis plonger sur son jean qu'il enfila comme un enfant peu dégourdi. Je réprimai un petit rire moqueur. Ses boucles dorées sautaient tandis qu'il essayait sans succès de passer ses talons dans le slim trop serré.

Puis, avec un sourire.

— Me voici.

Je m'appliquai à ne pas laisser paraître la moindre émotion.

[...]

Lorsque je suis rentré dans la pièce, il y avait Nounours sur son lit ; le mien était encore bordé de la veille. Je retirai à la va-vite mes vêtements, puis me glissai dans mon lit. Le mien, uniquement le mien.

Quelque chose sifflait dans ma tête. Je crois que c'était comme le bruit du feu qui ronronne, doux, fébrile. Pareil aux feuilles d'automne qui se gonflent dans le vent de minuit.

Il fallait que je m'endorme avant qu'il n'arrive.

[...]

— Georg.

Il se retourna dans le couloir. À bien y penser, c'était la première fois que je le voyais dans le couloir, la première fois que je le voyais sortir comme tout le monde.

— Oui ?

Ma voix ne trembla pas.

— Je dois te dire un mot. Tu peux venir ?

Mon cœur se serra quand je vis qu'il venait à moi, sans rien dire, sans rien faire, sans même se débattre. Quelque part, j'aurais voulu qu'il se débatte, comme le poisson prisonnier du filet. Mais non. Il s'échouait, lui et ses boucles dorées, sur mes rivages.

Je n'avais plus le choix. Je devais lui dire.

[...]

Je me réveillai dans le petit matin, la tête lourde d'une nuit sans rêve, dure, agitée, fumée aux narcotiques, morte. J'imaginais le chant des oiseaux, dans le ciel évanescent. Il était tôt, bien tôt, bien trop tôt.

Je me retournai. Il était là, dans son lit, seul. Je voyais qu'il dormait. Je voyais qu'il rêvait. Je voyais une larme briller avec tout l'éclat et toute la beauté de l'innocence, sur sa joue satinée. Elle brillait même dans le noir, le noir du petit matin qui se cherche sans se trouver, comme une luciole qui repousse le soleil, qui cajole de sa douce lumière le soleil noir qui conquiert les étoiles, qui étouffe les astres sans laisser jamais place au souffle fécond des songes endormis.

Nounours était contre moi. Il n'était pas là quand je m'étais assoupi. Je croisai son regard de peluche et sentis un pieu teinté d'une odieuse culpabilité percer mes entrailles, ma chair, mon cœur.

[...]

— Tu veux me dire quelque chose ?

Blanc.

Le couloir était vide, mais je pris la peine de voir s'il n'y avait personne. Il m'obligeait à soutenir son regard, son regard vif et iodé.

— Oui.

Blanc.

— Je... J'aimerais que tu...

— Que je ?

— Que tu arrêtes de me prendre dans tes bras, comme ça, la nuit.

Blanc.

— Je te rends Nounours. Mais ne me prends plus dans tes bras.

Blanc.

— D'accord.

J'aurais tellement voulu qu'il me dise non, qu'il me hurle dessus, qu'il me frappe. J'aurais voulu qu'il ait le courage que je n'ai pas eu.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant