Chapitre XXVI

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Soudain, dans le noir, la pluie cessa de m'écorcher le visage et un sourire fendit en deux l'obscurité. Ce sourire me fit mal, très mal. Comme un couteau dans une plaie que l'on remue pour faire sortir tout le pus qui dégouline, dégouline très fort le long de mes joues trempées de pluie et de silence.

Mes yeux s'ouvrirent un peu plus grand. Il y avait Georg et ses larmes qui coulaient sur moi, doucement. Je ne voulais pas qu'il s'en veuille. Je ne voulais plus rien faire. Ne plus exister aurait été tellement exquis, mais le peu de substance qui grouillait encore en moins m'interdisait cet intime plaisir. Je me surpris seulement, dans toute mon impuissance, à poser ma main tremblante, toute tremblante comme une feuille morte, sur sa joue satinée de larmes.

Un dernier sanglot qui me pinça la gorge se mua en sourire.

[...]

Je sortis de la salle un peu vite. Beaucoup trop vite. Presque trop vite pour que le sourire en coin que j'arborais déjà quelques minutes avant la fin du cours, me suive. Il y avait une telle précipitation dans mon mouvement que mon corps semblait dépasser de beaucoup mes pensées. Même, je ne prenais pas bien conscience de mon déplacement, aussi je heurtai en riant un peu quelques tables et quelques personnes.

— Sasha ! Attends-moi !

J'eus le plaisir de me retourner. C'était bien, bon, juste.

[...]

Elle me regarda. Je la regardais aussi, assez longuement. Suffisamment pour qu'elle s'interroge, qu'elle s'agace un peu. Elle s'attendait à une réponse. Elle jouait nerveusement avec une boucle trop frisée pour elle, qui rebondissait d'un côté et d'un autre à mesure que ses yeux fixaient un objet avant de s'en détacher, courir ailleurs. Sans s'en rendre compte souvent, elle battait la pulsation avec son index. Je me demandai s'il s'agissait de la pulsation de son cœur. C'était possible, le doigt était calme, elle était calme, elle faisait semblant de ne pas l'être. C'était grossier, affreux, évident. Et pourtant, elle avait cette culture du rythme. Je lui faisais défaut à ne pas répondre. Horriblement défaut. Je défaisais toute la grossièreté de son déguisement. Je la déshabillais comme une prostituée infâme.

Elle parla.

— Mes excuses ne te suffisent pas ? Je suis vraiment désolée, tu sais. Si jamais je peux faire quelque chose...

— Non, tu ne peux rien faire.

Blanc.

— Tu m'en veux ?

— Non, tu es comme ça.

— Comment ça ?

— Tu n'es pas libre. Tu es jalouse.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Tu as voulu me priver de ma liberté. Tu la jalouses. Tu me jalouses aussi, mais un peu moins.

— Je n'ai jamais voulu te couper les ailes, Sasha.

— C'est vrai. Tu as voulu me les arracher.

[...]

Je lui jetai un œil. Il me le renvoya sans tarder. Il l'attendait, j'en suis sûr. Mieux, il le savait. C'était délicieux. Je pouffai et me retournai.

Une petite boulette de papier frappa ma tête. Je m'efforçai de la ramasser discrètement, très discrètement. Il ne fallait pas qu'on me voie. C'était secret. C'était bon que ce soit secret.

J'enfouis la boulette dans ma main. Je la lirai plus tard. Après. Loin de lui. C'était un jeu, notre jeu. Je venais d'en inventer les règles, et je savais déjà qu'elles lui plaisaient.

[...]

Encore une fois, nous n'avions plus parlé de ce qui s'était passé. Pourtant, son sourire sonnait juste, et le mien aussi. C'est étrange comme deux situations peuvent se ressembler comme un miroir et ce qu'il reflète mais pourtant à bien y regarder, on y trouve cet éclat argenté qui rend le reflet bien plus beau, bien plus délectable que tout le reste.

[...]

— C'est toujours ton problème, Sasha. Tu voudrais que le monde fonctionne comme toi tu le souhaites. Tu voudrais que le monde obéisse à ta propre pensée. Tu voudrais que chacun soit là où tu le décides. Assume tes désirs. Sois libre, pour de vrai. Cesse de fuir.

— Je ne fuis pas.

Je posai mes lèvres sur les siennes. Ça avait le goût sucré de l'océan, le cri amer des mouettes et le soyeux du sable fin. Ça avait l'immensité des plaines, la grandeur des montagnes aquatiques et la finesse des pleurs. Ça avait la grandiloquence des élégies grecques, la prestance des grands amours et la poésie des brises d'automnes.

Et pourtant c'était simple. Simple et bon. Bon et juste. C'était juste. Juste un moment juste entre nos lèvres qui n'en finissaient pas de déverser l'un dans l'autre, nos pleurs esseulés.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant