Chapitre XV

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Il m'a regardé, très calmement. Beaucoup trop calmement. Il y avait beaucoup de calme dans ses yeux et pourtant tout en moi bouillait. Son calme ne m'inondait pas. Il restait chez lui. Il ne m'appartenait pas. Il était étranger, étranger à tout, à tout ce qui me faisait, moi.

D'accord.

J'entendais encore sa bouche prononcer encore et encore ce même mot, pour encore mordre l'air encore chaud de son souffle avec ses dents, ses dents encore chaudes de son souffle et de sa bouche qui prononce encore et encore ce même mot.

— Tu avais autre chose à me dire ?

Blanc.

— Je vais y aller du coup. On a cours après. Sois pas en retard. Pas trop.

Blanc.

Je voulais lui dire quelque chose. Mais à ce moment, j'ai oublié ce dont il s'agissait.

[...]

J'ai rêvé de larmes après m'être rendormi. Je ne pensais pas pouvoir rêver de ça un jour. D'oiseaux qui pleuraient, qui pleuraient des océans de pleurs.

C'était un rêve très beau et très triste.

[...]

— Quelqu'un sait où est Sasha ?

Le professeur a demandé ça. Je l'ai entendu, j'étais derrière la porte mais je n'ai pas osé ouvrir.

[...]

— T'étais où ?

Blanc.

— On s'est inquiétés, tu sais.

— Hm.

— Ok, je veux bien que tu sois en retard, mais tu vas avoir des problèmes si tu sèches.

— Hm.

Blanc.

— M. Robert veut te voir, d'ailleurs.

Moi, je ne savais pas si je voulais le voir.

[...]

Il y avait à la lueur du petit matin, dans les yeux accusateurs de Nounours peut-être, un soupçon de regret. Lorsque je l'observais ainsi dormir, une larme brillante sur la joue, mon cœur se serrait un peu. Je ne me sentais pas légitime. Je n'avais pas le droit, et beaucoup trop de pouvoir, bien plus que ce que je pouvais supporter à moi seul, moi tout seul.

Mais il fallait que je lui dise. Que je lui dise que je ne voulais pas que ça continue. Je me disais que je ne voulais pas le voir pleurer, encore et encore. Que ce n'était pas bien. Que ce n'était pas gentil. Que la solution n'était pas que je me substitue à Nounours, mais qu'il fallait que je lui rende pour qu'il soit heureux, peut-être ; au moins qu'il ne pleure plus, que je n'aie plus à subir ses larmes, ses belles larmes.

Je n'étais pas un ours en peluche, mais un oiseau. Un oiseau qui se sentait arracher les ailes.

[...]

— Vous avez mis du temps à venir me voir.

Blanc.

— Je sais pourtant que vous êtes passé un nombre incalculable de fois devant ma salle, en jetant des regards angoissés.

— Je n'étais pas angoissé.

— Bien sûr que vous n'étiez pas angoissé.

Il prononça ces mots sans moquerie, sans agacement. Pourtant, il tenait sa cigarette allumée, qui se consumait doucement sans jamais tirer une bouffée. Il me fixait inlassablement.

— Seuls vos regards l'étaient.

Il porta sa cigarette à sa bouche et jeta un oiseau un peu moribond dans le crépuscule qui peu à peu dégoulinait de nuit.

[...]

— T'as rencontré comment Georg ?

Blanc.

— Y'a pas grand monde qui lui parle dans la classe. Il est assez discret en même temps, tu trouves pas ? Moi je trouve qu'il ressemble un peu à un intello à la con, tu sais, avec son air hautain et absent.

Blanc.

— En tout cas, il doit pas l'être puisque t'es pote avec lui. Vous aviez l'air de vous entendre quand vous êtes descendus ensemble pour petit-déjeuner.

Blanc.

— Dis, la prochaine fois, tu me le présenteras ?

Blanc.

Elle hésita.

— Même si je trouve qu'il a les yeux menaçants, comme si c'étaient des volcans.

— Ce sont pas des volcans. Ce sont des océans sans oiseaux.

[...]

— Vous vous êtes disputé avec Georg, Sasha.

Il n'avait pas tiré trois bouffées qu'il écrasa avec plus d'empressement qu'à l'accoutumée, sa cigarette sous sa semelle. Je le regardai avec un peu d'insistance, comme pour essayer de percer son visage impassible.

Il se contenta de me sourire, un petit sourire qui se voulait affectueux mais qui était très triste.

— Mes oiseaux n'étaient pas jolis, ce soir.

Blanc. Il détourna son regard.

— Ils n'avaient pas d'ailes.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant