La classe me semblait étouffante. Je me laissai tomber sur ma chaise lourdement. Le corps, lorsque l'esprit ne l'allège pas, est bien trop dense. Nous étions des éléphants avec des ailes. Je souris à l'idée puis mon regard se posa sur mon bureau.
Il y avait un petit papier. Plié en deux. Sans trop de façons. Je le dépliai. C'était une écriture un peu pressée mais elle était très calme. On trouve souvent des paradoxes révélateurs dans l'écriture des gens.
« Les oiseaux fuient devant le chat. »
Il me semblait qu'il y avait quelqu'un derrière moi et pourtant le siège était vide, il n'y avait aucune trace de vie sur la table, rien. Rien de rien. Je fus presque déçu mais je m'y attendais aussi. Je n'aurais pas regardé si jamais j'avais su qu'il y avait quelqu'un.
Je repliai soigneusement le petit bout de papier et le fourrai fébrilement, un peu comme un voleur, dans ma poche de jean.
[...]
Le mardi est ma meilleure journée.
Deux heures de littérature. Quatre de philo.
[...]
On retint mon bras à la sortie de midi. J'avais la dalle et il me semblait même que tout mon corps n'existait plus qu'à travers mes papilles avides. Sans une once de bonne volonté, je cédai cependant et me retournai. C'était la poufiasse.
— Je m'appelle Sophia. Et toi ?
— Sasha.
— Bah salut.
Blanc.
— Tu vas manger ?
— Hm.
— Tu manges avec moi ?
[...]
La nuit tombait doucement et recouvrait tout très amoureusement. Elle avait cet air jaloux quand elle posait son voile langoureux sur toutes les choses du monde pour les soustraire à la vue des vivants. Elle avait cet air cupide quand elle chuchotait à quiconque de ne pas s'approcher, de ne pas la toucher, de ne pas la saisir. Elle avait cet air fébrile quand elle reculait devant la lumière, prise au dépourvu pour l'éclatant qui la chasse.
Je la chassai. La lumière tressauta un petit instant puis ma chambre s'éclaira. Le lit d'en face était vide mais l'ours en peluche n'était pas exactement à la même place. Il semblait me regarder avec un autre air ce soir, comme s'il voulait me dire quelque chose.
Je m'avançai et le pris dans mes bras. Je posai ma tête sur le haut de la sienne et fermai les yeux. J'entendais presque sa respiration souffler au rythme de la mienne. Tendrement.
[...]
— Tu manges pas ?
Sophia me posait cette question la bouche pleine. Vachement pleine, même. Elle était peut-être moins poufiasse qu'elle n'y paraissait. Disons trois-quarts poufiasse.
Pour toute réponse, je mangeai un peu de purée. Il ne pleuvait pas dehors et je regrettais presque. J'aimais bien la pluie. C'était très cajoleur la pluie.
— T'es nouveau ?
— Ouais.
— T'es arrivé hier, c'est ça ?
— Ouais.
— T'es dans une chambre double, au premier étage, non ?
— Ouais.
— T'as déjà vu le mec qui partage ta chambre ?
Je ne répondis pas. Je mangeai un peu de purée.
[...]
Je m'assis dans un coin. Un peu plus loin, je voyais M. Robert. Il tenait sa clope et faisait des oiseaux dans le ciel sans me voir. Je soupirai.
Parfois, j'aimerais bien être ces volutes, ces belles volutes très libres et très belles d'être libres. Cette liberté me faisait peur aussi. Comme si au contact de la braise de la cigarette, j'allais me brûler les ailes avant de pouvoir m'envoler.
[...]
J'étais en train de m'endormir sur l'ours en peluche. Je ne sais pas depuis combien de temps j'étais là. Je regrettais juste de ne pas avoir pris les miennes chez moi, de m'avoir voulu grand. Je ressentis tout l'horreur de mon propos. Quelle horreur d'être grand ! Je me réfugiai la tête contre l'ours et je respirai calmement.
L'ours avait une odeur folle et entêtante. C'était d'un délicat très doux et suave. Il y avait une odeur champêtre rassurante avec un discret relent de transpiration. C'était calme et bon. Il y avait peut-être un brin de fruits rouges, comme une odeur passée. C'était gourmand et délicieux. Il y avait beaucoup d'histoires et de souvenirs. C'était la meilleure odeur du monde.
Je n'entendis pas la porte s'ouvrir.
— Tu veux que je te le prête pour la nuit ?
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Fuites embrasées
Roman d'amourSasha n'aime pas beaucoup le monde. Quand il débarque à Saint-Exupéry, il n'aime rien. Puis peu à peu il va aimer les oiseaux, un ours en peluche et peut-être même l'océan, l'océan tout entier pour mieux s'y perdre. Publication dans le cadre du prog...