Un oiseau s'envola. Je souris. Cet oiseau-là était très beau. Son plumage blanc vaporeux semblait contenir toutes les couleurs du monde, qui se jetaient dedans avec beaucoup de précipitation. C'était un oiseau couleur nuage rêveur avec ses ailes douillettes et son bec solaire. Cet oiseau-là, il me sembla qu'il dura plus longtemps que les autres. Je ne voulais pas le voir chassé. Le ciel était sien.
[...]
— Sasha, écoute-moi.
Il planta ses yeux dans les miens. Il était beaucoup trop proche de moi. J'avais du mal à respirer.
— Hé !
Je crois que j'ai paniqué à cet instant. Ma main s'écrasa sur sa sale belle gueule de connard.
[...]
Je retournai en cours. M. Robert avait repris son explication sur Phédon depuis quelques minutes déjà. Je crois que Sophia a vu mes yeux rouges, elle m'a fait des signes un peu bizarres qui ont eu le mérite de me faire sourire. Mais c'était un sourire feint. Les chaises, les tables, les murs, les autres, mon corps, Nounours et lui. Tout ça, c'était comme un grand bûcher. Un bûcher sur lequel je me débattais, le feu poison qui me léchait la peau, mes larmes qui coulaient pour mieux l'alimenter comme si mes yeux crachaient de l'essence en riant. Mon essence à moi.
Quelle substance me resterait-il après le ravage des flammes, à moi et ma chair consumée ?
Je voulais fuir l'embrasement. Fuir le monde qui se précipitait vers moi, et chaque regard qui m'était jeté avec un air méchant que j'inventais pour raviver l'incendie.
À cet instant, j'aurais balancé Nounours au feu. J'aurais crié. Brûle ! Brûle ! J'aurais ri. J'aurais dansé avec une belle musique macabre morte qui crépite cruelle dans ma tête, au son de sa voix qui murmure encore, toujours, encore, mon nom.
Quand je me réveillai, j'étais affalé sur mon bureau. M. Robert était assis près de moi, sur la table de devant. Il avait un livre à la main et un sourire aux lèvres. Je m'effondrai en sanglots.
[...]
Je voulais croire que j'avais un plan, que j'avais décidé quelque chose. C'est en tout cas ce que j'avais affirmé à M. Robert en fuyant ses yeux. Ses yeux lisent en moi. C'est tout con mais ça me fait flipper. Moi, j'ai peur qu'on lise en moi. Qu'on lise le gouffre asphalté qui se creuse en moi un peu plus à chaque inspiration.
Dans ma tête il y eut un rire nerveux suivi de beaucoup de vide sans rien.
[...]
— T'es sûr que ça va, Sasha ?
— Hm.
— Pourquoi t'étais en retard après la pause.
Blanc.
— T'as pleuré ? T'avais les yeux rouges.
Blanc.
— Je peux faire quelque chose pour toi ?
Blanc.
— Non.
J'avais pris une décision. Je crois. Ou je voulais le croire, plutôt.
[...]
Il y avait dans l'air la même odeur salée que celle que j'avais imaginée, mais mon esprit avait chassé l'amer. Les vestiaires ont toujours un air gluant. C'est dans leur nature profonde. Il y eut quelques éclats de voix derrière-moi, sans doute des gens qui parlaient trop fort, leurs corps encore tendus par l'adrénaline.
Je m'assis sur un des bancs. Il s'est assis en face sans me regarder et moi je le regardais bien en face. Un rai soyeux de lumière vint caresser sa joue gauche encore rouge. Je m'étonnais de ne ressentir aucune culpabilité.
J'ôtai mon short. Changeai de t-shirt. Remis mon pantalon.
Je pris un temps fou. Je le regardai, et il savait que je le regardais. On sentait qu'il avait peur et je savais qu'il ne partirait pas avant moi. Il ne voulait pas croiser mon regard.
Puis il n'y eut plus personne dans le vestiaire.
Je me levai d'un coup ; il fit de même. Il baissa la tête et je plaquai ma main à sa droite contre le mur. Chacun de mes muscles me picotait. Mon visage me démangeait. Mes mains tremblaient. Et je me vis parler.
— Je te pardonne.
Il y eut un éclat dans ses yeux qui irradiait beaucoup. J'eus un certain mal à m'en détacher.
— Mais j'ai une condition.
Blanc. Il hésitait.
— Laquelle ?
Là, c'est moi qui hésitai, mais une envie irrépressible bouscula ma question au bord de mes lèvres.
— C'est quoi ton nom ?
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Fuites embrasées
RomanceSasha n'aime pas beaucoup le monde. Quand il débarque à Saint-Exupéry, il n'aime rien. Puis peu à peu il va aimer les oiseaux, un ours en peluche et peut-être même l'océan, l'océan tout entier pour mieux s'y perdre. Publication dans le cadre du prog...