Chapitre XII

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Il y avait un vent de tempête qui soufflait dans mes cheveux, une odeur d'iode qui me serrait la gorge. Le lycée n'était pas près de la mer, mais la mer était toute proche de moi. Elle m'était intime.

Je regardai le vent souffler contre les pins qui s'étendaient à perte de vue, qui faisait rouler les feuillages comme des marées vertes. Où était la mer, dans cet océan champêtre ? Je n'en savais rien. Moi, sur ma colline, j'avais le mal de mer, la gueule de bois et une cirrhose du foie à forcer de me saouler sans cesse des abois du large, de ces larmes liquoreuses qui fleurissaient en moi comme du pavot ensommeillé.

J'avais partagé un instant sa plage, et désormais toutes ses tempêtes étaient à moi.

[...]

Je ne le vis pas en cours de toute la journée. Il y avait un goût amer lorsque je jetais un œil à sa place vide. Un goût amer qui tort le ventre, les entrailles, et le cou à toutes mes idées.

J'avais envoyé, chevalière, ma tête prendre toute la place de sa place toute vide pour en occuper la chaise, le bureau, les yeux. Pourtant, il n'était pas là. Il était au-delà du vide et de l'absence et ma tête toute chevalière n'y pouvait rien.

[...]

Pour la première fois, j'arrivai à l'heure en philosophie. M. Robert ne m'adressa pas de sourire ; je crois qu'il était étonné. Je lui en envoyai un pour nous deux, assez grand pour qu'on puisse le partager.

Je pense que c'est la première fois que je lui souriais. Au fond de moi, je n'avais pas envie de sourire. Mais pourtant, il le fallait. Je ne pouvais pas laisser le fracas incessant des flots ronger nos deux âmes. Une falaise devait tenir. J'avais décidé que ce serait la mienne.

[...]

Ses larmes avaient cessé dès que je m'étais assis au bord de son lit. Son lit n'était pas distant du mien de deux mètres mais j'avais l'impression d'accoster une île, et lui étranger à nu sur sa plage. Il était sans défense, je le voyais dans ses yeux noyés.

La lumière de la nuit dessinait des ombres en chaloupe sur son pyjama à rayures qui faisait des vagues. L'obscurité, avec le concours discret du sommeil, plissait davantage encore le tissu et l'agitait en grands bruits d'écume. Sa peau séchait à l'abri du soleil, sous le store à persiennes, avec de petites gouttes qui perlaient partout sur sa peau comme des rêves.

Je chassai une dernière vague qui roulait sur sa joue. Il sursauta. Moi, j'avais l'impression d'avoir senti sous mon doigt le sable chaud, chaud et doux, des étés de mon enfance.

Je me levai doucement.

[...]

On a continué Phédon. J'ai presque écouté, mais je n'étais pas dans la classe. J'ai écouté plutôt le remous des vagues qui couraient en moi, en me laissant emporter doucement, sur ma barque et mes rêves, par la voix de M. Robert.

— On va prendre une pause.

Je ne lui ai pas demandé, mais je savais qu'il savait. Je l'ai suivi.

[...]

— C'est courageux de votre part de lui avoir parlé.

— Hm.

Un oiseau s'envola et je clignai des yeux imperceptiblement. Non, il n'y avait aucun doute. Ce n'était pas un reflet du soleil, ce n'était pas un tour de mon imagination, ce n'était pas une forme esseulée dans une vague. C'était une mouette, plus belle, plus grande que les autres.

Elle avait quatre ailes.

Elle volait beau.

[...]

Je me redressai tout prêt à repartir.

— Reste.

Blanc.

Il y avait un goût d'écume dans sa voix.

— Reste, s'te plaît.

Blanc.

L'écume était rauque et douce. Il y avait des relents argentés dans sa blancheur taciturne.

— Reste.

Il avait chuchoté, comme un râle.

Je suis resté, il m'a pris la main, doucement. Il n'a rien eu à me dire, je me suis allongé contre lui, contre Nounours. Il ne pleurait plus du tout. Ses yeux bravaient les flots pour voguer jusqu'aux miens, et je le sentais se perdre dans mes lacs salins, avec des belles plaines et quelques montagnes au fond.

Il s'endormit. Ou je m'endormis. Je ne sais pas, et ça n'avait aucune sorte d'importance.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant