Chapitre XXII

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— Tu as eu peur de ne pas être libre.

Une chouette perça la nuit tombante dans un frémissement de plumes, de feuilles et de vents contraires. Les étoiles s'élevaient en cantates douces tandis que je me serrais un peu plus dans notre couverture. J'aurais aimé avoir plus froid encore, que ce froid dévorant excuse davantage d'empressement encore, que je me laisse tout à fait aller contre lui dans notre couverture.

J'aurais aimé faire taire ce crépitement qui me consumer, qui me maintenait au chaud dans ma solitude, loin de lui et loin de la nuit. Nous ne parlions plus depuis un moment déjà. Je savais ce qu'il allait dire, bientôt. Ses lèvres se préparaient. Comme des artistes, je les voyais répéter leur numéro, et le voyais lui se répéter à lui-même qu'il était temps, que le temps était venu, qu'il venait.

J'avais envie de me confondre tout à fait avec lui. De ne faire qu'un, peut-être. C'était drôle comme sensation. Je n'avais pas l'impression de renoncer à la moitié de ma liberté.

— On rentre ?

J'acquiesçai. La chouette vint se percher sur l'olivier de la cour.

[...]

Nounours ronronnait dans mes bras comme un drôle de chaton. J'étais assis sur mon lit, bien droit. Je m'appliquais. Mes yeux regardaient droit dans l'obscurité, vers le lit d'en face. Je n'y voyais rien, mais ce n'était pas grave. À mesure que je fixais le noir, il me semblait percevoir, sentir des fourmillements un peu partout. Le sentiment d'urgence que j'avais chassé revenait, doucement, à la faveur du sommeil.

Je ne devais pas dormir.

[...]

— Je vous assure que je vais bien.

— Je ne crois pas Sasha. Vous portez d'horribles cernes.

— Vous faites bien de ne pas me croire.

Blanc.

— Mais reconnaissez que ça me va bien, et que ça habille mon regard.

Il cracha un oiseau amusé qui fit quelques tours en l'air comme pour me faire plaisir.

[...]

Ce matin, il y avait quelque chose de particulier dans cette salle. C'était étouffant. Le professeur semblait étouffer, avec sa cravate trop serrée et ses cheveux qui suintaient la laque. Il avait des airs blafards de boîte de conserve et sa chair exsangue avait perdu les couleurs vives du dandy. Pour la première fois, il semblait accordé au gothique dont il nous parlait d'ordinaire avec trop peu de passion, sinon trop d'enthousiasme pour éveiller un quelconque sentiment d'authenticité.

Georg me jeta une petite boulette de papier sur ma table. Je sursautai. Ce n'était pas habituel. Je dépliai. Le mot était bref, très bref comme si à l'image du professeur, le papier avait perdu son encre en de grandes hémorragies démonstratives. Je léchai mes doigts du regard pour faire disparaître l'encre qui n'existait pas, comme souillé.

[...]

Je lui jetai un œil. Il me jeta un sourire.

[...]

— Viens. Pourquoi il a marqué ça ?

— Parce qu'il veut que tu viennes ?

— Pourquoi c'est court ? D'habitude, il écrit plusieurs mots. Et il ne dit jamais les choses directement.

— Parce qu'il avait pas envie ? Les gens changent, c'est comme ça. Il n'y a pas de raison dans tout. Sans doute il n'avait pas envie de t'écrire quelque chose de long. Il est peut-être lassé.

— Mais il m'a souri.

— Les gens sont insondables, ce sont des menteurs.

Je m'arrêtai. Sans savoir ce qui me chagrinait le plus. Si c'était l'étonnement du mot « insondable », incongru dans la bouche trois-quarts poufiasse de Sophia. Ou au contraire. Georg est un menteur.

Les larmes me vinrent et coulèrent doucement le long de mes joues d'enfant. Sophia me tendit un mouchoir avec un air très désolé.

[...]

Je repliai le petit mot soigneusement et le pressai dans ma main qui tremblait un peu, très fort, jusqu'à me priver du sang qui boue en moi, l'impression tenace d'être sale, très sale.

Je me retournai. Il me regardait.

[...]

Il approcha son visage très près. Très furtivement. Soudain, je rougis.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant