Devant la glace, je m'entraînais à avoir l'air ridé. Je n'y arrivais pas et ça me gonflait grave. Ma professeure n'avait pourtant pas eu l'air de faire le moindre effort. Moi aussi je voulais raconter des belles choses avec mon visage.
Une petite voix sinueuse sifflait dans ma tête. Sans doute n'avais-je pas encore vécu.
Je m'extirpai avec grand mal de mon propre regard et entendis la porte s'ouvrir. Mon cœur se serra d'un coup. Je voulais me cacher derrière Nounours, derrière sa belle odeur pour me perdre et n'entendre que sa voix. L'urgence parcourut tout mon corps et ma vision devenait aquatique. Le son devenait aquatique. Je me laissai aller au flot, au flot qui m'emportait loin de moi-même et me faisait courir sans m'arrêter. Nounours.
[...]
— Bah alors t'as pas faim ?
Je n'avais en effet rien mangé. Je jetai un coup d'œil mesquin à l'horloge du réfectoire que je tenais pour intiment responsable de l'heure qui stagnait.
— Je suis sûre que ça a un truc à voir avec ton papier. Pourquoi tu dis rien ?
Blanc.
— Je me trompe ?
— Hm.
— Je le savais ! Alors, c'est qui ?
Blanc.
Je me posais délibérément la même question. Putain Sasha. T'es con, des fois.
[...]
M. Robert m'offrit un sourire éclatant lorsque je poussai la porte sans un mot bien quatre ou cinq minutes après le début du cours. Il y avait tellement d'affection dans son regard que je me sentis étrangement coupable.
J'avais failli arriver à l'heure pour ce cours. Puis l'idée folle m'était venue que je le verrai peut-être si j'arrivais en retard, qu'il serait déjà assis, que je n'aurai pas à me retourner pour le voir. Évidemment, il n'était pas là. Je rejoignis sagement ma place tandis que M. Robert dissertait patiemment sur Platon et son allégorie de la caverne.
J'avais terriblement envie à cet instant que ma vie entière soit une illusion.
[...]
Finalement, je crois que je n'avais plus envie de le voir, de découvrir qui il était. Une seule idée traversait toutes mes pensées comme un fil jeté en avant : serrer Nounours contre moi. Je m'acharnai à ne pas penser à Nounours. Il me faudrait le rendre à son propriétaire, un jour ou l'autre. Sans doute ne serait-il pas d'accord pour que je l'emprunte encore un jour. J'avais cette appréhension qui me serrait le cœur.
Je reportai mon attention sur la tempête qui déchaînait les arbres au-dehors comme de grands squelettes furibonds. Ce paysage me parut étrangement calme. Je l'aimais bien.
[...]
— Bon, on va prendre une pause.
— Monsieur ?
— Oui Sasha, vous pouvez venir.
[...]
J'arrivai dans la chambre. Nounours m'attendait sagement exactement là où je l'avais laissé ce matin. Il avait les traits reposés et je souris en pensant qu'il avait bien dormi avec moi. J'en avais pris soin.
Je jetai mon sac au pied du lit, fis une petite caresse à Nounours, puis partis prendre ma douche. Dehors, la tempête s'était radoucie, mais elle était d'un calme féroce qui frissonnait et qui me fendait la peau à grands coups de couteau méchants.
Un miroir retint mon attention.
[...]
— Vous avez mis du temps avant de venir à nouveau pendant ma pause cigarette.
Blanc.
— Vous savez, ça se voit que vous aimez les oiseaux, Sasha.
Blanc. Il soupira.
— Et moi, j'aime particulièrement les faire.
Il jeta dans le ciel un oiseau blanc plus fin, plus grand et plus beau que les autres. La pluie semblait poindre mais elle n'était pas encore pour tout de suite. Le ciel était encore tout au bel oiseau.
— De beaux oiseaux qui emportent ma vie.
Une goutte fendit l'air calme. Il écrasa sa clope au sol. Il se fendit d'un regard. La goutte s'écrasa avec un grand fracas, suivie de bien d'autres. Il me retint par le bras.
— Sasha. Vous n'êtes pas trop seul ?
Blanc.
— Je ne sais pas, Monsieur.
[...]
Je courais vers Nounours. Je devais me cacher, je ne voulais pas le voir, surtout pas. Je plongeai vers son corps en peluche et me blottis à l'intérieur, chaud et protégé.
La porte se ferma.
Il était parti et il y avait un petit papier plié en deux sur mon lit.
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Fuites embrasées
RomanceSasha n'aime pas beaucoup le monde. Quand il débarque à Saint-Exupéry, il n'aime rien. Puis peu à peu il va aimer les oiseaux, un ours en peluche et peut-être même l'océan, l'océan tout entier pour mieux s'y perdre. Publication dans le cadre du prog...