Chapitre XVII

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Une voix nocturne s'éleva en moi comme des murmures narcotiques, des souffles exotiques, lointains, un peu précieux. Il m'arrivait rarement de rêver. Je ne savais pas si j'aimais ça. Sans doute ai-je trop longtemps considéré que la vie était l'affaire du jour, du soleil, de la vie. Mais désormais, je découvrais à tâtons les affres de la nuit, et toutes leurs douceurs.

Ce rêve m'a bien plu, même s'il m'a aussi plu sans doute de ne pas m'en souvenir, de ne pas en garder trace. La nuit restait, docile, à la nuit.

[...]

Il me montra quelque chose au loin. Je fronçai le front fermement, le nez un peu pincé et les yeux plissés. Il me montra davantage ; moi je ne voyais rien, strictement rien. Je tentai encore quelques instants de voir ce qu'il me désignait avec tant d'insistance mais j'avais beau plisser, pincer, froncer, je ne voyais rien, rien d'autre que l'infini qui s'étendait loin devant jusqu'à faire le tour de la Terre, en me murmurant, amusé, que si ma vision pouvait voir l'infiniment loin, je pourrais peut-être apercevoir mon propre dos. Et celui de Georg.

Je ris.

Peut-être crut-il que je me moquais de lui. Il se mit à rire aussi, d'un seul coup, sans prévenir, et avec beaucoup de chaleur. Et nous étions deux, au bord du vide, surplombant le monde, à rire, rire, rire comme deux idiots qui ne savaient ni l'un ni l'autre pourquoi ils riaient. Il est parfois bon d'oublier le monde pour le plaisir de rire le rire, l'euphorie du rire, et celle du rire qui se rit.

Puis il s'arrêta. Moi aussi. Je le fixais sans doute avec un peu trop d'insistance car il sourit en croisant mon regard.

— Regarde. Le vent. C'est lui qui est libre.

Il avait le regard plongé dans l'horizon, sublime.

[...]

— Monsieur ?

— Oui Sasha ?

— Je suis désolé d'avoir manqué votre cours tout à l'heure. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n'ai pas vu l'heure, je n'ai pas vu le temps qui filait. Je suis vraiment désolé, Monsieur.

Il me regarda avec ses grands yeux profonds. Il portait une petite sacoche noire en cuir passé sous le bras. Elle lui donnait un air ancien.

— Parfois, Sasha, on n'a pas la tête à la philosophie.

Blanc.

— Faites simplement en sorte que ça ne se reproduise pas. Pas trop souvent, disons.

Il s'éloigna de quelques pas avant de pivoter sur ses talons, comme un hibou qui tourne la tête.

— Vous pouvez être fier de vous pour lui avoir pardonné, Sasha.

[...]

— On a cours, tu sais.

Je ne lui ai pas répondu. Je n'avais pas envie d'avoir cours, à ce moment précis. J'avais l'intime conviction que ma place n'était pas devant M. Robert. Qu'il ne m'en voudrait pas, non plus.

Ma place était là, à contempler le vaste monde qui se jetait tout entier dans mes yeux. Je frissonnai à l'idée que c'était le même vaste monde qui se jetait dans les siens, sans trop savoir pourquoi je frissonnais.

Certaines questions gagnent sans doute à ne pas être posées.

[...]

— Monsieur, pensez-vous que certaines questions gagnent à ne pas être posées ?

Un oiseau s'éleva sans cri dans le ciel. Vu sa taille, c'était un rapace. Il avait l'air majestueux dans le vent fébrile.

— C'est une question difficile.

[...]

Je me laissai tomber par terre. C'était dur, pas confortable et pourtant j'étais bien. Je lui lançai un regard qu'il fit mine d'ignorer, et il s'assit aussi. Sans doute voulut-il parler, mais je n'en avais pas l'envie. Alors, je l'ignorai à mon tour. Ça n'eut pas l'air de le déranger.

Je regrettais que Nounours ne soit pas avec nous. Il aurait aimé être avec nous.

[...]

Georg était assis sur mon lit. Il avait Nounours dans les bras. Il me regardait, moi caché dans l'embrasure de la porte qui inondait de lumière la chambre assoupie.

Fuites embraséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant