Le con. Le sale con. C'était un sale con, avec une sale gueule de con. Je vociférai dans ma tête, trop lâche pour lui dire, pour lui cracher toute la rancœur qui me pesait, qui dansait devant mes yeux quand je le regardais trop longtemps comme des hallucinations hypnotiques.
Mais lui il me souriait, avec un sale sourire de con tout tartiné sur sa sale gueule. Et moi, trop lâche, je lui souriais aussi, avec plaisir.
[...]
Je vis M. Robert s'éloigner. Je n'avais pas bien compris pourquoi il avait voulu me voir. Je culpabilisais un peu d'avoir parlé à Georg. Je culpabilisais de deux sortes : tout d'abord de lui avoir dit si crûment ce que je lui avais dit, et d'une autre part de ne pas lui avoir dit, lui avoir tout dit.
Les oiseaux difformes de M. Robert finissaient de se dissoudre dans l'air, éparpillés par un vent agacé. Je lui en étais reconnaissant, sans trop savoir si la vue de ces formes atrophiées me dérangeait davantage que ce qu'il m'avait dit.
J'avais l'impression tenace qu'il s'agissait d'un reproche. Le souvenir de son sourire triste confirmait douloureusement mes craintes.
[...]
— Sasha ?
— Hm ?
— Je peux te parler deux secondes, s'il te plaît ?
Blanc.
— Je dois aller manger, là. Désolé.
Je tournai les talons avec un air résolu. Sophia m'attendait un peu plus loin en me jetant des regards interrogateurs. Elle avait la main posée sur la hanche avec un air un peu décidé. Je sentais que je n'échapperai pas à un interrogatoire approfondi.
[...]
Je soulevai avec difficulté la trappe. Elle était lourde, tenace. Je sentais mes bras se tendre, frémir sous le délice de l'effort. Tous mes tendons arcboutés pour propulser, avec le concours de tous les muscles de mon corps, la lourde plaque d'acier rouillé. Je m'aidai d'un coup d'épaule et je vis le ciel.
C'était très beau et très pur. Je montai pour me dresser tout à fait sur mes jambes.
Le vent vint couler sur moi sans bruisser, pour ne pas m'apeurer. Il y avait un goût de vertige dans ce qu'il me chuchotait doucement à l'oreille. Un appel au vide peut-être. Pas au vide devant moi en tout cas. Au vide qui se trouvait en moi, bon, délicieux, chaud.
Je m'assis.
[...]
— Sasha !
— Lâche-moi, j'ai la dalle.
Je ne le regardais pas. Si j'avais croisé son regard, je n'aurais pas réussi à dire non.
Je tournai définitivement les talons, et marchai un peu trop vite vers Sophia. Je voyais que le rire et un profond questionnement se bataillaient son visage, si bien que sa bouche offrait une grimace très risible.
Un peu galvanisé par la crainte, la peur, l'angoisse, j'éclatai de rire. Elle ne comprit pas. Moi non plus.
[...]
Je criai.
— J'aime les oiseaux !
Le vent me renvoya quelques embruns dorés, en boomerang. Il avait la couleur du beau et la douceur de la flamme.
— Les oiseaux libres.
— Oui. C'est vrai.
Blanc.
— Comment tu sais ?
[...]
Sophia me fit un signe. Je venais à peine de me poser à ma table, avec mon assiette sous le nez. Je regardai de quoi il s'agissait.
Georg venait à moi. Il avait le visage fermé, mais s'appliquait sans conviction à sourire. Il faisait une grimace un peu semblable à celle de Sophia, il y a dix minutes. Mais je n'avais pas du tout envie de rire.
[...]
— Monte par là.
Il me montra une échelle. Je m'exécutai.
L'échelle n'était pas très haute. Elle avait une odeur de poussière mais jouissait encore de son éclat de jeunesse. C'était une drôle d'échelle. Elle menait à une sorte de trappe, une trappe en acier un peu lourde et très imposante.
Georg me fit comprendre qu'il fallait que je la pousse. Je m'exécutai.
[...]
— Ça te plaît ?
Je lui souris. Ses yeux étaient des lagons merveilleux.
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Fuites embrasées
Roman d'amourSasha n'aime pas beaucoup le monde. Quand il débarque à Saint-Exupéry, il n'aime rien. Puis peu à peu il va aimer les oiseaux, un ours en peluche et peut-être même l'océan, l'océan tout entier pour mieux s'y perdre. Publication dans le cadre du prog...