Coma

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Cela faisait trois jours que Aiden n'avait pas parlé. S'il avait pu, il serait même resté en boule et n'aurait rien mangé. Mais il y avait toujours quelqu'un pour s'occuper de lui. Il avait cru comprendre au détour d'une conversation que Alexei avait demandé à Christian, Mike et Karim de se relayer avec lui pour le surveiller. Comme s'il avait besoin d'une garde rapprochée ! Cela n'avait fait qu'agrandir son envie de se murer dans le silence durant ces deux longues journées. Il se contentait de grognements pour communiquer avec ses amis. Ces derniers s'inquiétaient de plus en plus pour lui, le voyant peu à peu sombrer encore plus profondément que lors de sa première dépression. En écoutant les discussions qu'ils avaient, essayant vainement de le faire participer, il avait compris que ses violeurs et son ancien maître allaient être jugés pour leurs crimes. Il serait sûrement punis par la justice. Mais il avait aussi compris que Jean avait reçu une balle dans le ventre, qu'il avait fait une hémorragie et qu'il était passé plusieurs fois à deux doigts de la mort que ce soit durant son opération pour contenir sa blessure que dans les deux derniers jours où il était plongé dans le coma.

Il débutait donc aujourd'hui son troisième jour d'hospitalisation et, pour la première fois, personne n'était présent avant son réveil. Un regard à l'horloge lui apprit qu'il était encore trop tôt pour la moindre visite. Il avait donc plein de temps devant lui avant que quiconque ne vienne le forcer à manger. Il se leva en grimaçant légèrement, certaines de ses plaies le faisaient encore souffrir, et sortit de sa chambre en jouant nerveusement avec son piercing. Plusieurs infirmiers et infirmières le regardèrent curieusement mais personne ne lui fit une quelconque remarque. En se guidant grâce à ce qu'il avait entendu lorsque Christian avait donné le chemin vers la chambre de son cousin à Alexei, il arriva devant une porte blanche surmontée du numéro 306.

Comment le trouverait-il ? Est-ce qu'il lui en voudrait si jamais il se réveillait ? Et si jamais il ne se réveillait pas ? Non, il ne préférait pas envisager cette hypothèse... Si cela devait arriver... nul doute que son cœur serait aussi brisé que son corps et son esprit en ce moment. Il ne pouvait pas vivre sans son seul crochet, pas sans Jean. Ce qui était plutôt ironique quand on savait que quelques mois plus tôt il aurait tout donné pour le faire disparaître. Mais maintenant, après tout ce qu'il avait fait pour lui, il était devenu trop important, comme une bouée au milieu de l'océan déchaîné de ses émotions qui le maintenait à flots.

Après un long soupir, le brun poussa la porte et entra dans la chambre aux couleurs immaculées emplie de machine émettant un bip régulier au centre desquelles se trouvait un lit. Pendant un instant, Aiden crut que Jean était endormi et qu'il se réveillerait dès qu'il s'approcherait de lui. Comme chez Morgane quand il avait voulu le tuer. Sauf qu'il ne croisa pas son regard émeraude en s'asseyant à côté de son aîné. Il mit automatiquement sa main dans les siennes pour les serrer entre elles afin de réchauffer son corps.

Il regarda son visage pendant de longues minutes. Il paraissait tellement paisible. Ça ne lui ressemblait absolument pas. Il aimerait qu'il se réveille en lui disant que c'était une blague, qu'il devrait voir sa tête en ce moment, qu'il soit de nouveau envahissant et agaçant. Ce silence était horrible. Il caressa du bout du doigt sa mâchoire en se mordant la lèvre. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il qu'il le perde lui aussi ? Pourquoi avait-il dû foncer tête baissée dans le danger ? Savait-il seulement qu'il ne s'en remettrait pas s'il ne se réveillait pas ?

Il ferma ses paupières, trop lourdes et trop douloureuses pour les maintenir ouvertes. Les larmes glissèrent le long de ses joues, incontrôlables, et atterrirent sur leurs mains jointes. Il avait l'impression d'étouffer tant la tristesse lui rongeait le cœur. Et il ferait n'importe quoi pour qu'il se réveille enfin.

~~~

Il fait noir, ici. Et il fait froid aussi. Jean n'était pas facilement effrayé, mais seul dans cet endroit où ne passait aucun son, il était apeuré. Il avait beau marcher et marcher dans la pénombre, il ne parvenait pas à trouver de lumière. Il n'y avait que ce silence assourdissant. Où se trouvait-il, actuellement ? Était-ce l'enfer ? En tout cas, s'il s'agissait du paradis, c'était extrêmement lugubre et pas le moins du monde comme il se l'imaginait. Même ce qui semblait être un sol était en réalité une sorte de matière gluante, comme du goudron, dans laquelle il s'enlisait à chaque nouveau pas. À moins qu'il ne soit en train de s'enfoncer depuis le début en croyant marcher ?

Il commençait de plus en plus à paniquer. La peur s'insinuait en lui comme un poison. Et il y avait cette étouffante sensation de solitude. Elle était encore plus horrible. Il détestait ça. Il détestait être seul. Il suffoquait. Il voulait sortir. Dehors, dehors il y avait Aiden, il devait le rejoindre.

Soudain, un air frais souffla dans ce noir immense et inquiétant. Ce fut comme s'il recommençait à respirer. Quelques gouttes froides glissèrent sur lui, chassant avec elles cette horrible sensation de ne plus pouvoir respirer. Est-ce que c'était Aiden ? Non, c'était ridicule, Aiden ne pouvait pas faire la météo. Alors pourquoi son cœur lui criait qu'il s'agissait de lui ? C'était un instinct déchirant. Aiden était avec lui, juste derrière ce rideau noir. Il tenta d'articuler son nom, comme si cela pouvait le faire apparaître dans les ténèbres. Mais les mots se bloquèrent au creux de sa gorge, le laissant muet. Plus aucun son ne voulait sortir de sa bouche. Il tenta de se débattre dans le goudron, tenta de déchirer les ténèbres...

Mais déjà le souffle disparaissait et les gouttes qui tombaient comme une fine pluie se tarissaient. Il voudrait lui crier de ne pas partir, de rester lui tenir compagnie, le guider, mais il était trop tard... tout était terminé. Il était de nouveau seul dans cette espace infiniment ténébreux...

Il avait envie de hurler et de pleurer mais il n'y parvenait tout simplement pas. Rien ne semblait exister dans ce monde, pas même la douleur physique. Il ne restait que ses états d'âmes en train de se mélanger. Il devina que peu à peu, il s'enfonçait dans le sol gluant. Il chercha vainement à se débattre, parce qu'il ne voulait pas abandonner ici. Pas alors que Aiden était seul et qu'il l'attendait. Pas alors que celui qu'il aimait avait besoin de lui !
Il fixa l'immensité sombre autour de lui, à la recherche de la moindre lueur qui pourrait le sortir d'ici. Au lieu de cela sa vue commença à se brouiller peu à peu et ses muscles, eux, devinrent lourd... comme si la fin était proche. Ses forces étaient en train de le quitter, au plus il se débattait, au plus il s'enfonçait. Ses yeux s'apprêtaient à se fermer quand un doux visage apparut près de lui, suivi petit à petit par le reste d'un corps nu parfaitement sculpté qu'il avait déjà exploré une fois. Il était juste à côté de lui, ses cheveux bruns tombant légèrement sur son front et ses yeux noirs le regardant tendrement. Sa main commença à caresser sa chevelure châtain avant de descendre sur sa joue. Jean tenta de lever lui aussi sa main vers lui. Mais ses gestes étaient devenus comme les mots, perdus à jamais dans l'obscurité. Il essaya tout ce qu'il put pour le toucher. Aiden finit par retirer à regret sa paume si chaude en laissant échapper une larme qui coula le long de sa si belle joue. Oh, ce qu'il aimerait le rassurer et lui dire de ne pas pleurer, lui dire qu'il était là, tout près de lui, et qu'il allait s'en sortir. Mais rien ne sortit et aucun mouvement ne revint. Le brun sembla dire quelque chose. Il crut lire un « je t'aime » sur ses lèvres avant que ce dernier ne se penche pour l'embrasser. Un baiser tendre, doux, chargé de regrets et de tristesse. Quand il relâcha Jean, le châtain vit que les larmes glissaient à présent le long de ses joues dans un flot continu. Son cœur se brisa devant cette image qui commença à s'estomper. Aussitôt, la panique le gagna de nouveau. Il ne voulait pas qu'il parte ! Non ! Il ne voulait pas !

Un effort de volonté... Il parvint à tendre les bras vers lui et ouvrir la bouche pour crier...

— Ne pars pas !

Soumets-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant