L'Indien

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L'Indien. C'était comme ça que les gens l'appelaient, c'était le nom que son maître lui avait donné quand il l'avait tiré ici. Il n'avait jamais réellement compris pourquoi, parce qu'il n'avait rien d'un indien, mais il n’avait jamais protesté.
Au début, il avait cru que son heure était venue et qu'il allait mourir, comme tous ceux qui étaient partis avant lui. Qu'elle n'avait pas été sa surprise quand il avait retrouvé un de ses amis du harem à ses côtés après avoir été dressé par les "VIP" de son adorable maître -sentez ici l'ironie, il le détestait profondément-. Il avait rapidement compris comment fonctionnait l'Oasis. Il fallait obéir aux clients, surtout à ceux qui payaient cher pour avoir leur service, et personne ne lui ferait rien. C'est comme ça qu'il avait réussi à s'attirer la sympathie du Sultan, même s'il n'en voulait clairement pas, et qu'il pouvait désormais s'occuper des nouveaux arrivants après l'ignoble traitement que leur faisaient subir les hommes choisis pour leur excellent compte-en-banque et leur immoralité sans borne par le maître. Ces hommes étaient censés être là pour dresser les soumis dont il ne voulait plus, mais au fond, il se contentait juste de les briser pour qu'ils soient... de jolies poupées de chiffon avec lesquelles on pouvait jouer.
Sortant de ses pensées en entendant la porte de sa chambre claquer derrière son dernier client de la soirée, un homme assez sympathique, il se leva et enfila un léger peignoir en soie rouge par-dessus sa douce peau chocolat au lait. Il avait un nouveau à accueillir cette semaine, mais le Sultan avait refusé de lui en dire plus sur lui, ce qui le faisait stresser. Il avait peur de trouver Mike sur le lit, encore souillé par le sperme de ces hommes immondes et même pas détaché... Il frissonna de dégoût à cette simple pensée et accéléra le pas, traversant le long couloir dans lequel se trouvait les chambres des différents prostitués. Il poussa la porte de celle dans laquelle devait se trouver un de ses compagnons de malheur.
Il ne put retenir un soupir de soulagement coupable en ne reconnaissant pas la carrure de colosse de Mike à la place du nouveau venu. Toutefois, alors qu'il s'approchait, il sentit son cœur s'emballer à la vue du pauvre garçon aux cheveux bruns menotté sur le matelas, un gode encore enfoncé entre ses fesses couvertes de sperme et de sang et un bâillon en forme d'os dans la bouche. Il se précipita vers lui pour le débarrasser de tous ces ignobles accessoires. Quand il eût enfin fini, il le prit doucement dans ses bras et alla dans la petite salle de bain attenante pour le déposer dans la baignoire. Il fit couler l'eau chaude en la mélangeant au savon favori de son ami qu'il connaissait par cœur, cherchant à déclencher une réaction dans les yeux noirs qui fixaient le vide sans aucune émotion.

— Au secours, finit-il par souffler en posant la main sur son oreille où le métis remarqua un joli hélix.
— Aiden... personne ne viendra ici, soupira-t-il tristement.

Aiden tourna rapidement la tête, ses pupilles brillantes de peur, et il gémit faiblement :

— Il a promis. Il va venir. Il a promis...
— Tu te fais du mal en te persuadant comme ça, personne ne va...
— TAIS-TOI, KARIM ! TU NE LE CONNAIS PAS, TU NE SAIS PAS DE QUOI IL EST CAPABLE !

Karim ouvrit de grands yeux surpris en entendant la voix brisée du brun s'élever dans un cri alors qu'il le regardait enfin, colère et désespoir se mélangeant entre ses longs cils bruns. Le plus vieux n'osa pas répliquer et se contenta de le laver sans un mot.
Aiden recommençait à se perdre dans les douloureux souvenirs de la fin de soirée. C'était comme si la première partie n'avait jamais existé, comme s'il n'avait pas dansé dans les bras de Jean, comme si ce dernier ne lui avait jamais avoué ses sentiments, comme si... plus jamais il ne pourrait goûter au bonheur qu'il avait ressenti dans ces moments-là.

— Aiden... tu devrais arrêter de ressasser...
— Karim, par pitié, garde tes conseils pour toi. Je préfère penser à ça... que souffrir en me souvenant de ce que j'ai laissé dehors.
— Ce que tu as laissé ? De quoi tu parles ?
— Mes amis. Et... quelqu'un... d'important…

Aiden soupira et se roula en boule, tentant de retenir les larmes qui voulaient échapper à son maigre contrôle. Ses barrières avaient déjà été brisées cette nuit, il ne parviendrait jamais à tenir jusqu'à mercredi et sa "présentation officielle" aux clients de la salle. Ils allaient faire de lui une coquille vide, une petite poupée malléable... non, il devait absolument agir avant qu'il ne soit trop tard, que tout ne soit perdu.
Il jeta un coup d'œil à Karim, un de ses proches amis à l'époque où il était encore au harem, et se mordilla la lèvre. Pouvait-il lui faire confiance et lui raconter le plan de Jean ? Après tout, qui sait ce qu'avait pu lui faire endurer le Sultan ? Il avait sûrement retourné sa veste pour avoir la paix. Il était hors de question de tout foutre en l'air. Mais c'était la seule solution viable qu'il avait. Il voulait sortir d'ici au plus vite, il devait donc remettre sa confiance aveuglément dans les mains de son ami. Il chuchota alors, apeuré que quelqu'un d'autre puisse l'entendre :

— Karim... j'ai besoin de toi...
— Dis-moi, Aiden, je ferai ce que je peux.
— Je dois écrire une lettre et la confier à l'informateur de mon ami mais... je ne pense réussir à tenir jusqu'à la fin de... Il faut que tu donnes cette lettre pour moi. Je t'en supplie.
— ... Qui est cet ami ? Tu es sûr qu'il va venir te chercher ?
— Évidemment que j'en suis sûr ! Il est bien trop pressé de m'avoir dans son lit pour me laisser pourrir ici, cet idiot. Il veut nous aider... je te jure, il est digne de confiance.

Karim plongea ses magnifiques yeux lagons dans ceux, suppliant, du brun et réfléchit à sa demande. Qu'est-ce qui l'empêchait de l'aider ? Rien. Et Aiden avait l'air de vraiment croire en cet homme extérieur qui pourrait venir les sauver, eux mais aussi ceux toujours coincés au harem. Il pourrait enfin revoir Mike après plus d'un an de séparation. Cette simple idée lui fit hocher la tête alors qu'il aidait son ami à sortir de la baignoire et à se sécher. L'ancien manager soupira de soulagement, un petit sourire au coin des lèvres, et remercia silencieusement le plus vieux en s'appuyant sur lui à cause de la douleur qui lui vrillait les reins.
Une fois qu'ils furent revenus dans la chambre, le métis tendit un petit carnet et un crayon qui traînait sur le bureau au plus jeune et lui fit signe d'écrire tout en lui décrivant la personne à qui il devait le transmettre. Il écouta donc attentivement ce que lui dit Aiden, bien conscient de l'importance de sa mission, avant de glisser la petite feuille dans sa poche. Il aida ensuite son ami à se coucher après l'avoir soigné et il caressa délicatement sa tignasse.

— Tu m'as manqué, Aiden...
— Moins que Mike, je suis sûr, tenta de blaguer le plus jeune mais le voile de tristesse sur ses yeux charbons indiqua qu'il n'y mettait pas tout son cœur.
— Oui, c'est pas faux... mon Dieu... qu'est-ce qu'il t'arrive pour que tu sois aussi brisé ?
— Je… j'étais déjà affaibli. Et j'ai perdu beaucoup de choses en venant ici, pour nous sauver... je ne vais pas tenir s'ils recommencent demain...
— Aiden...
— Il... Il était pas d'accord pour que je vienne... il avait des preuves mais... un témoignage... c'est encore mieux, le brun avala difficilement un sanglot en fermant les yeux et continua, putain... j'aurais mieux fait de continuer à le détester, ce serait moins douloureux... merde...
— Tu es amoureux de ton ami ?
— Je sais pas. Je sais plus. Je sais juste que… j'ai peur de perdre à nouveau la personne à qui je tenais...
— Tu devras m'expliquer tout en sortant d'ici... repose-toi… Je veille sur ta lettre.

Aiden ne protesta pas, la fatigue était trop envahissante pour qu'il résiste. Alors il laissa ses pensées vagabonder sur le corps nu de Jean et ses adorables gémissements avant de finalement sombrer dans les bras de Morphée.

Soumets-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant