Porté disparu

7.1K 568 70
                                    

Jean posa la lettre qu'il venait de rédiger sur le bar américain de sa cuisine juste à côté d'une enveloppe cachetée sur laquelle était inscrit le surnom de Aiden. Il réajusta son gilet par-balles au-dessus de son pull à col roulé noir et enfila ses gants de la même couleur, les yeux dans le vague. Il ne reviendrait peut-être pas de sa petite escapade mais au moins, il serait certain que plus jamais le gang ne viendrait s'immiscer dans la vie de son cousin et de leurs proches. Son loup serait à l'abri. Il allait sûrement le briser à nouveau mais il comptait sur lui pour être plus fort qu'avec Marc et se relever coûte que coûte. Il glissa un poignard et un magnum à sa ceinture, passa nerveusement la main dans ses chevaux châtains désordonnés puis sortit de chez lui sans prendre la peine d'enfiler une veste. Il descendit jusqu'au parking souterrain par les escaliers, sachant pertinemment qu'il ne risquait pas de croiser quelqu'un en passant par là, et monta dans la berline noir de Christian à qui il avait discrètement subtilisé les clefs. Il démarra le moteur et rentra l'adresse du lieu de rendez-vous dans le GPS afin de s'y rendre. Tout était normalement prêt, là-bas, mais il devait s'assurer que les hommes de mains de son père ne fouille pas la maison. Celle où il avait vécu jusque ses huit ans, sa maison d'enfance. Il descendit du véhicule, arrivé avec environ trois heures d'avance, et alla ouvrir le cadenas qui maintenait l'immense porte en bois du manoir fermé. Il alla dans le salon qu'il avait soigneusement piégé et s'assit sur un des fauteuils. Ne lui restait plus qu'à attendre son père.

Ce dernier arriva à l'heure prévue accompagné de quelques hommes de main. Le châtain ne leur laissa pas le temps de fouiller les pièces qu'il l'invitait à s'asseoir en face de lui d'un coup de menton.


- Quel accueil... ça fait plus de vingt ans que tu ne m'as pas vu et c'est ainsi que tu me dis bonjour ?

- Je n'ai rien à te dire, papa. Je veux que tu nous laisse tranquille, soupira Jean en ignorant la remarque de cet homme qu'il avait autrefois considéré comme un Dieu.

- Christian était censé venir, non, où est-il ?

- Absent. Écoute, tous les moyens de pressions que tu peux avoir sur nous te sont inaccessibles, je m'en suis assuré, le châtain écarta les jambes et mit ses mains jointes entre ses cuisses en reprenant plus sèchement, promets-moi de disparaître.

- Non, Jean. J'aimerais que tu viennes avec moi. Que l'on refonde un gang nouveau, répondit son père en passant la main dans ses cheveux blancs et en croisant ses jambes.

- Nous avons une vie et nous sommes sortis de ces affaires. Il est hors de question que j'y retourne maintenant que j'ai enfin ce que je voulais.


Jean ne laissa pas le temps à son père de répliquer que déjà il se levait, ajoutant froidement en s'approchant de lui :


- Il y a vingt-deux ans, je t'admirais. Jusqu'à ce que tu me laisses aux mains de ton frère. Tu sais ce qu'il m'a fait devenir ? Un tueur si froid que même lui, je l'ai poignardé sans culpabiliser. Adieu, papa.


Il glissa habilement la main vers sa ceinture, tout en discrétion, et en décrocha le petit couteau à cran pour le planter dans le ventre de son père au moment où il l'enlaçait. Il se redressa quand il commença à cracher un peu sang et regarda ses hommes se tendre, pointant leurs armes sur lui en voyant leur patron agoniser. Il sortit son propre pistolet et tira sur l'un d'eux, le touchant à l'épaule. Il allait leur ordonner de le laisser passer mais le second homme lui tira dans le mollet et il manqua de s'effondrer. Il répondit par une balle qui vint se loger en plein dans son front. Le châtain grimaça en voyant le corps tomber et sortit du manoir en boitant. Il tira de sa poche une petite télécommande sur laquelle il pressa l'unique bouton ce qui fit sauter la pièce dans laquelle il se trouvait encore quelques minutes plus tôt. Il s'apprêtait à regagner sa voiture quand quelque chose s'abattit sur son crâne, le faisant tomber dans un trou noir.


~~~


Aiden était resté effondré sur le sol de la chambre d'hôtel de son meilleur ami pendant plusieurs longues minutes durant lesquelles personne n'avait osé parler. Quand ses cris cessèrent enfin et qu'il était parvenu à calmer ses sanglots, Christian s'approcha de lui et lui tendit une enveloppe, sur laquelle il reconnut l'écriture appliquée de Jean, en expliquant :


- Il l'avait laissé sur le bar. Je suppose qu'elle est pour toi. Il doit sûrement t'expliquer la situation, mieux que moi je ne le ferais.

- Pourquoi tu n'étais pas avec lui ?!

- Il est parti seul, sans me prévenir. Mais je ne peux pas lui en vouloir... il s'est sacrifié pour que nous puissions avoir une vie tranquille.

- Tu...

- J'ai perdu un frère, Aiden, le coupa le gérant du club en se redressant, je n'ai pas en plus besoin de tes reproches.


L'homme mit de force la lettre dans ses mains puis alla se remettre dans le lit, bien décidé à ne pas croiser de nouveau le regard du brun. Alexei se mordit la lèvre, hésitant sur l'attitude à adopter. Son meilleur ami lui souffla de rejoindre son époux. Il se leva, les yeux dans le vide, puis regagna sa chambre. Là, il s'assit sur le fauteuil de la pièce et décacheta l'enveloppe dont il commença la lecture.


Mon Loup, mon joli Loup,

Si tu lis cette lettre c'est que malheureusement soit mon père m'a tué soit ses hommes m'ont attrapés. Dans le second cas, sois sûr que je ferais tout pour venir te retrouver.

Je regrette de ne pas avoir pu aller jusqu'au bout avec toi, mais je peux au moins être sûr que nos sentiments sont réciproques. Je m'en veux de t'imposer une nouvelle perte, Aiden, mais je compte sur toi pour ne pas rechuter. Tu es fort, je le sais mieux que n'importe qui. Un jour, quelqu'un te comblera entièrement et pourra enfin rester à tes côtés

Tu peux rester dans notre appartement, si tu en as envie, au moins tu seras proche de Alexei...

Je t'aime, Loup, je t'aime tellement.

Pardonne-moi...

Jean


Aiden plia le papier, les yeux plein de larmes ruisselant sur ses joues, et regarda la photo que Jean avait mise avec. Il l'avait prise le jour de l'anniversaire de son meilleur ami car il voulait garder un souvenir de leurs costumes assortis. Il caressa du doigt la joue de son maître en se mordant la lèvre.

Tout son être lui criait qu'il était encore en vie et qu'il reviendrait quoi qu'il en coûte.

Soumets-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant