Autour du feu

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A toi maintenant de me faire sentir ta fureur! Il n'y a qu'en souffrant que je me sens vivant ! A toi me me tordre, de me broyer, de me détraquer. A toi de me mordre jusqu'au sang. Je le mérite, après tout.

Sebastian se tourna lentement vers Maria, étant la seule personne restée dans la pièce avec lui. Un silence de mort s'installa, sans qu'aucun des deux ne parvienne à le briser. Si ce n'est qu'ils en avaient simplement envie. Après tout, Maria était redevenue distante avec lui suite à l'incident de la taverne du myosotis, sans qu'il ne comprenne pourquoi. Mais, désormais, lui aussi ressentait une gêne en sa présence. Au fin fond de lui, dans une partie insoupçonnée de son être, un insoutenable secret le tenaillait, un songe, aussi insaisissable que fugace, était enchaîné à l'intérieur de sa poitrine et attendait le moment opportun pour se libérer. Mais qu'adviendra t-il de lui lorsque ce mystère déloyal finira par exploser ? Il l'ignorait et cela le terrifiait au plus haut point.

Ses yeux s'accrochèrent à ceux, étincelants, du séraphin. Ils ne parvenaient peut-être pas à dialoguer comme deux êtres normaux mais un simple échange de regard était bien plus efficace que le plus long des discours. Elle se rapprocha de lui calmement et les faibles lueurs de la cheminée ouverte faisait régner dans la salle un doux sentiment de chaleur et de calme. Les flammes crépitaient en un bruit agréable et l'odeur de fumée n'était pas dérangeante tant le parfum exquis de Maria emplissait la pièce. Sa fragrance était un curieux mélange de glycine, mais aussi de chocolat.

_Tu te retrouves en piteux état, c'est surprenant, commenta t-elle en un soupire lasse, tandis que son regard s'attarda sur la blessure du démon. Je te pensais bien plus fort que de simples shinigamis.

Sebastian esquissa un sourire mauvais, se souvenant de la faiblesse de Maria face aux clients de la taverne.

_J'aurais bien aimé t'y voir, seule face à une dizaine de shinigamis. Les humains ivres et impuissants ne te suffisent pas ? Je pense qu'ils sont, au contraire, à ton niveau.

Maria tiqua à sa remarque tout en haussant ses sourcils, amusée et légèrement réconfortée à l'idée qu'il réponde à ses réflexions. Bien sûr, elle le fuyait, comme à son habitude. Après tout, cette relation étrange sans commune mesure était contre-nature et complètement insensée. S'approcher trop près de sa flamme lui revenait à se trahir corps et âmes et s'éloigner ; le choix le plus juste ; équivaudrait à sa mort pure et dure. Qui allait être tué, qui allait tuer... ? Tels étaient les questions. Son cœur tout entier réclamait vengeance et elle brûlait autant qu'elle ne gelait à l'idée de le faire disparaître une bonne fois pour toute. Que pouvait-elle bien faire face à un assaillant aussi vulnérable et traître que lui ? Et, quand bien même elle réussirait à s'éloigner de lui et de cette vie qui était sienne depuis tant de jours... Parviendra t-elle seulement à retrouver son équilibre, si fragile et friable, qu'elle avait eu tant de mal à instaurer ? Des années de douleurs, d'incompréhensions et de rages... Rien d'autre ne l'avait fait tenir à part cet obscure ressentiment. Une envie de vengeance réprimée, faute de cible, et voici qu'il réapparaissait comme une fleur devant ses yeux. Que c'était bête. Maintenant qu'elle pouvait s'exorciser de son démon, elle était trop faible pour lutter contre ses souvenirs. Qu'elle était bête ! Un simple regard et tout s'envole. Mais ce qu'il lui restait, en définitive, qu'allait-elle bien pouvoir en faire contre lui...? Elle refusait tout autant de ne rien faire que de faire, tout autant de le laisser vivre que de l'abattre. Quel sentiment allait pouvoir prendre le dessus, finalement... ? La seule chose qui la retenait désespérément c'était ce lien qu'elle avait formée entre Esther et lui. « Si elle n'avait pas été là, tu l'aurais déjà tué...? Pourtant, lorsque tu l'as vu pour la première fois, n'as-tu pas hésité longuement...? Et même après... Tant d'occasions ratées... Tu es tellement fausse avec toi-même...» Elle caressa du bout des doigts son bracelet d'argent, caché sous ses gants blancs et réprima au fond d'elle toutes ses obscures pensées.

Book of regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant