Epilogue

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31 Octobre 1898 

Chère Maria,        

Voilà des années que nous ne nous sommes pas revus, toi et moi. Je n'ai rien tenté avant aujourd'hui, les souvenirs de cette soirée m'appellent encore et me hantent, ils refusent de me laisser. Je doute que tu accèdes un jour à cette missive, étant donné que j'ignore totalement où tu te trouves. Toutefois, comme toujours, j'ai espoir qu'elle arrive à te rejoindre, je ne sais de quelle manière, et que tu viennes me voir, même si cela doit se produire lorsque je serai au seuil de la mort. Je t'attendrai toujours.

Tu te demandes peut-être ce que je te veux, tu m'auras probablement oublié avec le temps. Mais une question me tourmente et ne cesse de m'envahir, une même question qui me pousse aujourd'hui à te parler... J'ai toujours souhaité te demander : que s'est-il passé lorsque j'ai quitté la cathédrale, ce jour-là ? Lorsque je vous ai laissé ensemble, lorsque, après qu'il ait rendu l'âme, tu as semblé happer par une présence et que tu t'es enfuis grâce à tes ailes, brisant au passage les vitraux de la sainte église ? Quelle est cette chose qui te commandait en cet instant, Maria ? Es-tu seulement encore en vie, ou la folie t'aura t-elle fait tirer un trait sur toutes tes souffrances ?

J'ai beau y avoir réfléchis depuis dix années maintenant, j'ai beau avoir essayé de comprendre ton comportement, l'incompréhension s'immisce et me lacère. J'ai pendant longtemps nié mon intérêt pour cette affaire, refusant de rappeler à Élisabeth ses vieux démons, mais, après maintes et maintes cauchemars dans lesquels tu disparaissais lentement sous mon regard, je me suis résolu à tenter le tout pour le tout. 

Je t'ai cherché pendant longtemps. Je vous ai cherché. A tous les coins de rues, dans les tavernes malodorantes, dans mon manoir, j'ai tenté de vous y trouver. Lorsque j'ouvre la porte de ma résidence secondaire à la capitale, ce même sentiment me fait hésiter sur le pas de la porte. Peut-être que vous m'y attendiez tous, rayonnants ? Sebastian allait-il me prendre mon manteau en arborant ce petit sourire que j'exécrais tant ? Esther allait-elle courir jusqu'à moi, les yeux remplis de larmes, en me remerciant encore et toujours de l'appartement que je lui avais cédé ? Mes domestiques comptaient t-ils m'informer qu'Élisabeth s'était rendue ici sans m'avoir averti? Et toi, allais-tu m'observer tranquillement quelques secondes, un sourire aux lèvres, avant de prendre Esther par le bras et de vous isoler afin de me laisser tranquille ? Le regret me consume, je n'avais pas réussis à vous sauver et votre souvenir s'efface peu à peu de mon esprit. Je refuse que cela arrive, car vous êtes la seule preuve de la personne que j'étais autrefois, de cet incapable obnubilé par la vengeance que je refusais d'ignorer.

Concomitamment à tout cela, mon lien avec le surnaturel se romps depuis quelques années, votre existence avec. Je ne discerne plus les anges et leurs arcs étincelants, ni les shinigamis aux yeux ravageurs, j'en viens à douter de vous avoir rencontré. Soma et Aghni eux-mêmes ne parlent plus de vous dans leurs lettres, après qu'ils soient partis visiter d'autres pays. Ils refusent de me demander ce qu'il s'est passé, ce soir-là, et je suis convaincu qu'ils commencent à oublier eux-aussi. Tous les souvenirs qui remontent d'il y a plus de dix ans semblent flous, un voile me recouvre et je crains qu'il s'agisse d'un bandeau qu'inconsciemment je porte à mes yeux. La facilité de l'oubli, n'est-ce pas ? Le pardon accordé par mes propres soins, éloignant sans aucun doutes vos reproches imaginaires qui chantent furieusement dans mon esprit. Si tu ne me réponds pas, je vais t'oublier et passer la page. C'est ce dont tout le monde me souhaite, c'est ce dont le nouveau moi souhaite ardemment. Mais les traces de mon incompétence et de l'ignare adolescent que j'étais le refuse. Il souhaite me détruire et se détruire également, bloqué à jamais à la cathédrale Saint-Paul. A chaque songe, tu m'apparais, de plus en plus transparente. Le temps me presse, inexorable, je veux me souvenir pleinement de vous. Je n'arrive pas à me convaincre que Sebastian ne m'attendra pas au pas de la porte, lorsque je me lève aux aurores. Qu'il ne me dévisagera pas avec dédain dans un silence agaçant. Qu'il ne se moquera pas de moi à travers ses yeux rieurs et sa mine suffisante. Sa présence, ou plutôt, l'absence de cette dernière à mes côtés m'est sans aucun doute le plus dur à vivre. Et il aurait rit, ce qu'il aurait rit ! s'il m'avait vu ainsi démuni et lui témoigner autant d'affection ! Je ne peux supporter son absence. Nous nous étions enfoncés bien trop loin dans les ténèbres, remonter à la lumière sans lui me parait insurmontable. 

Book of regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant