"Les passagers du vol 1771 en direction de Los Angeles sont appelés à passer au contrôle de leurs bagages afin de rejoindre leur emplacement."
Dans moins de 24h, Ederson fêtera son vingt-et-unième anniversaire aux côtés de son meilleur ami aux Etats-Unis. "21 ans, c'est la majorité aux USA, autant le fêter sur place." avait-il dit et il en avait fallu peu pour le convaincre de faire ses bagages direction Los Angeles. Il ne voyageait pas énormément mais faire le tour du monde, quitter sa ville natale et découvrir tout ce que dissimulait la planète bleue était son plus grand rêve. Ses parents, eux, avaient pris leur temps pour lui accorder leur approbation. Leur fils n'était plus un enfant mais il était le seul et cette unique raison les poussait à le couver plus qu'il ne le fallait.
"Papa, maman, je vais louper mon vol si vous ne vous décidez pas à me lâcher ne serait-ce qu'un peu, je n'ai pas encore pu dire au revoir à Lily."
La petite blonde fit mine de s'offusquer avant de l'accueillir dans ses bras, lui faisant promettre une énième fois de l'appeler lorsqu'ils seraient arrivés à l'hôtel.
"Et toi, idiot, avait-elle adressé à Chad, prends soin de lui, si j'apprends qu'il lui est arrivé quoi que ce soit, je-
- Lily, je peux veiller sur ma propre personne, je n'ai plus 12 ans.
- Tu les retrouves quand tu es avec lui."L'étudiant avait roulé des yeux en souriant tandis que son meilleur ami levait les mains en l'air en signe de soumission. Sa petite-amie avait toujours été des plus méfiantes quant à leur duo, elle ne savait que trop bien qu'avec eux, le mot "limite" n'était pas inclus dans leur vocabulaire.
"[...] vol 1771 en direction de Los Angeles, dernier appel."
Les deux jeunes hommes se détachèrent du groupe mais Ederson fut retenu par une pression sur son bras.
"Reviens-moi en un seul morceau.
- Je te le promets."Et pour seule réponse, il lui offrit un doux baiser qui avait un goût d'adieux, comme tous ceux qu'ils échangeaient à chaque fois qu'ils se quittaient pour voyager.
Cette fois-ci, il se détacha pour rejoindre le brun qui tapait du pied par terre, lui claquant les omoplates en passant, arrachant un rire surpris de la part de son acolyte."J'étais à deux doigts de pleurer.
- Oh allez, cesse de faire l'idiot."Passeports en règle, cartes d'identité à jour et sécurité passée, ils purent enfin rejoindre leurs sièges au sein de l'appareil. L'agitation dans les couloirs les agaçaient déjà, ils prenaient sur eux. Rien ne pouvait les arrêter. Dans douze heures, ils frôleraient le sol américain et ça, ça n'avait pas de prix. Ils n'échangeraient leurs places ni leur situation pour rien au monde. Un silence planait entre eux deux, ils ne réalisaient toujours pas.
"Ederson ?
- Mh ?
- On décolle."Il connaissait le code par cœur. Chad n'avait jamais été le plus grand des aventuriers, du moins, il l'était seulement dans ses pensées. Il parlait beaucoup, défiait sans limite mais quand cela le concernait, il avait tendance à s'écraser, ce qui faisait souvent rire le blond qui, lui, au contraire, ne prenait peur devant rien. Un casse-cou qui avait plus d'une fois donné des sueurs froides à ses parents. La main du brun crispée sur l'accoudoir de son siège, le plus jeune des deux s'en saisit et la serra dans la sienne.
"On va à Los Angeles.
- On va à Los Angeles, Chad.
- Parle-moi."Parce qu'après toutes ces années, lui raconter n'importe quoi l'avait toujours aidé à oublier qu'il ne se sentait pas bien. C'était devenu habituel, presque un rituel de parler pour ne rien dire, seulement pour le bercer de sa voix, qu'il puisse penser à autre chose et si parfois ils partaient dans de longs débats, ils pouvaient aussi se raconter des potins comme les filles de leur groupe lorsqu'elles se retrouvaient ou rire aux éclats pour une blague qu'Ederson avait encore une fois raté. Etre étudiant en sciences humaines et sociales à l'université d'Oxford était une chose, posséder un véritable sens de l'humour en était un autre. Dans le fond, ce qui faisait rire chez lui, ce n'était pas sa façon de raconter les blagues mais de les détruire.
"Tu te souviens de cette fille que tu as voulu aborder en seconde ?
- Elle a cru que j'étais gay parce qu'on était tout le temps scotché ensemble.
- C'était quoi, déjà, la phrase que tu avais utilisé ?
- Oh non, non Ederson, ne m'oblige pas à la dire.
- Allez, c'est ton heure de gloire.
- "Si tu étais un sandwich au McDo, tu serais le Mc-nifique" "À l'entente de ses mots, le blond ne put s'empêcher de se tordre de rire, attirant le regard de quelques passagers qui se demandaient ce qui pouvait avoir de si drôle dans cet avion pour le rendre si bruyant.
"Je te déteste tellement fort, avait chuchoté Chad, se cachant derrière ses mains, encore honteux de se rappeler la débilité de ses dires.
- Au moins, on vole et tu vas bien."Ederson avait répliqué en s'essuyant le coin de l'œil pour chasser une larme qui était survenue en raison de son immense fou-rire.
Onze heures s'étaient écoulées et s'ils s'étaient réveillés, ce n'était pas à cause d'un enfant qui hurlait dans leurs oreilles. Pourtant, ils auraient aimé.
"On a un problème." Annonça une hôtesse d'une petite voix presque tremblante.
Un coup de feu se fit entendre dans le haut-parleur.
"C'est moi, le problème." avait ajouté une voix masculine au micro avant que l'on puisse entendre trois nouveaux bruits sourds.
Aucun son ne se faisait entendre dans l'appareil, tout le monde se dévisageait. Ils croyaient à une plaisanterie et si c'en était une, elle était de très mauvais goût. L'avion se mit alors à piquer vers le bas, vite, trop vite pour que personne ne s'aperçoive que ce n'était pas une blague, qu'ils étaient en danger. Peu à peu, des hurlements se firent entendre, des supplications, les enfants se mirent à pleurer, hurler, personne ne pouvait les maitriser et quand bien même ils essaieraient, les efforts seraient vains. Des larmes silencieuses roulaient sur les joues du blond, il n'avait pas la force de se débattre, de hurler comme la trentaine de passagers autours de lui. Alors il agrippa la main de son meilleur ami, la serrant dans la sienne, se persuadant qu'une solution serait vite trouvée, que d'ici peu, l'appareil serait redressé. Ils seraient bientôt arrivés.
***
Le 30 Mars 1987, 22h heure anglaise, Oxford.
Le téléphone sonna, Sarah Klimph courut rejoindre le combiné dans le salon, s'impatientant à l'idée de recevoir des nouvelles de son fils.
Mais ce soir, elle aurait aimé que cet appel n'ait jamais eu lieu, que jamais elle n'ait eu à s'effondrer au sol en larmes, hurlant, jurant, frappant tout ce qu'elle touchait.Le vol 1771 à destination de Los Angeles s'était écrasé sur les terres Californiennes. Aucun survivant. Pas même son fils.
Ce baiser était le dernier, ces embrassades étaient les dernières. Jamais plus il ne rentrerait à la maison.
En cette année 2017, Craig et Sarah fêteront les trente ans de la disparition de leur fils. Trente ans plus tard, leurs yeux continuent de le chercher, partout, tout le temps. Trente ans plus tard, ils espèrent encore le voir passer le pas de la porte et malgré leurs efforts pour tourner la page, au fond d'eux vit une flamme, un espoir hardant, ils le savent, le sentent, Ederson est encore là.
Il est là, il l'a toujours été. Ederson Aimé Klimph n'a pas dit son dernier mot.
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Ederson Aimé Klimph.
General Fiction"Un vagabond, une âme délaissée, un grain de sable noyé, effacé, une illusion, un cauchemar que l'on veut chasser à tout prix, un homme, un ange banni du paradis Connaître son nom ne vous engage qu'à l'oublier lorsque le temps sera venu pour lui d...